Le racisme, ce virus mortel
Dany Laferrière mêle petits poèmes en prose et témoignages pour dénoncer le racisme.
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Publié le 08-02-2023 à 17h00
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L'écrivain, membre de l'Académie française, originaire d'Haïti et vivant au Canada, Dany Laferrière n'a jamais cessé d'interroger le racisme dans nos sociétés.
En 2020, il publiait une lettre ouverte intitulée Le racisme est un virus, qui revenait sur la mort de George Floyd, tué par un policier blanc aux États-Unis lors de son interpellation. Il y écrivait : "Si le Blanc pense que c ' est avec le Noir que ce virus est arrivé en Am érique, le Noir croit, lui, que c ' est la cupidité du Blanc à vouloir exploiter son énergie qui le garde encore vivant. Il n ' y a pas de Noir sans Blanc comme il n ' y a pas de Blanc sans Noir."
Il revient sur ce thème, en pleine actualité avec la mort cette fois de Tyre Nichols, tué à nouveau par des policiers, mettant en lumière un racisme structurel au sein des polices américaines.
Son Petit traité du racisme en Amérique est un objet littéraire singulier, un mélange de textes plus théoriques et de rappels historiques avec des petits poèmes en prose de parfois quelques lignes à peine et des témoignages émouvants. Un texte de dix mots peut être aussi éloquent qu'un haïku quand il écrit : "On veut ta peau, c'est le cas de le dire" et qu'il titre cette phrase-chapitre : "Résiste".
Il y rappelle aussi au gré des pages de grandes figures d'Abraham Lincoln au blues de Bessie Smith, de James Baldwin à Toni Morrison.
Chair et douleur
Il expose son projet dans un texte au cœur de son livre : "Je voudrais remettre de la chair et de la douleur dans cette tragédie qu'est le racisme. Je voudrais rappeler que, quand quelqu'un meurt de cette fa ç on - Je parle de véritables assassinats qui se passent, sous nos yeux, dans les rues américaines, et de petits meurtres aussi qui se passent dans les salons -, rappeler donc que c'est un être humain qu'on a tué ou qu'on a cherché à tuer, et non un concept. Il ne faut pas oublier tous ceux qu'on a poussés au suicide lent ou à la d épression. Tous ces crimes qui passent inaper ç us parce qu'on a choisi de torturer un être faible, discret et isolé. Il faudrait que quelqu'un parle en leur nom. Je n'aime pas parler au nom des gens, mais puisqu'ils sont morts…"
Et il ajoute que face à cela, sa stratégie personnelle est d'écrire sans cesse des livres.
Dans ce Petit traité, on peut lire des constats terribles : "Le racisme ordinaire est un fait qui change l'autre, le Noir, en un monstre sur qui il faut tirer le premier ou un cancrelat qu'il faut écraser de son mépris."
Dans l'avant-propos de son livre, il précise qu'il ne parlera que du cas des États-Unis, " o ù ce fl éau est extrêmement présent et touche pas moins de 45 millions d'habitants sur 332 au total et qui est l'un des pays à avoir subi l'esclavage sur son propre territoire."
Humour
Il nuance aussi : "On doit comprendre que le mot Noir ne renferme pas tous les Noirs, de même que le mot Blanc ne contient pas tous les Blancs. Ce n ' est qu ' avec les nuances qu ' on peut avancer sur un terrain si miné."
Et avec l'humour qui le caractérise même sur un sujet aussi brûlant, il se propose de "tricoter ce triste bouquin pour dire deux ou trois choses sur le racisme".
On peut lire, ou simplement piocher dans cet essai, pour découvrir des anecdotes qui valent de longs discours : "Dans un quartier riche et blanc les gens qui voient un Noir passer deux fois de suite prennent peur et appellent la police. Dans un quartier pauvre et noir, le Blanc qui s'est perdu a peur qu'on l'empêche d'appeler la police."
Dany Laferrière multiplie les thèmes, pour nous faire comprendre les ressentis des Afro-Américains et se demande pourquoi la société n'a pas encore réussi à enrayer le racisme et comment il est encore possible qu'une personne ne fasse lyncher parce qu'elle a regardé une Blanche.
--> ★ ★ ★ Dany Laferrière | Petit traité du racisme en Amérique Essai | Grasset, 252 pp., 20,90 €, version numérique 15 €
EXTRAIT
“La technique est simple. Tout jeune Noir doit avoir un casier judiciaire avant dix-huit ans. On doit avoir au moins ses empreintes dans les fichiers de la police. On lui prend ses empreintes même pour des vétilles de sorte que toute action future soit considérée comme une récidive. En un mot, il doit être fiché.”