Sortir de Bécassine et des clichés poussiéreux sur les Bretons et leur région
L’historien Joël Cornette tente de raconter une histoire qui n’est pas enseignée aux écoliers.
Publié le 08-02-2023 à 10h38 - Mis à jour le 08-02-2023 à 11h46
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”Tu ne connais même pas l’histoire de la Bretagne”. C’est le reproche que m’a souvent adressé ma grand-mère. Christiane, 96 ans, Bretonne 100 % pur beurre, “avant d’être Française”, précisait-elle fièrement quand elle avait toute sa tête. L’ado, puis le jeune adulte que j’étais, n’avait jamais rien su répliquer. Car c’était vrai… Toutes les années durant lesquelles j’ai usé mes fonds de culotte sur les bancs d’écolier morbihannais, je n’ai quasiment rien appris sur l’histoire de ma région. Je tenais mes connaissances de l’oralité et elles étaient aussi superficielles, stéréotypées, que parfois erronées (non, les routes ne sont pas gratuites dans la région grâce à Anne de Bretagne).
Si vous êtes dans ce cas, passionné d’histoire, simple curieux ou amoureux éperdu de la plus belle région du monde (selon un sondage non-scientifique conduit à Paimpol, Lorient et Landerneau), l’ouvrage de Joël Cornette est un bon moyen de clarifier vos connaissances et de lutter contre les lieux communs. Auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, l’historien brestois a écrit cet essai pour analyser ce qui fait la “singularité bretonne”, écrit-il dès le prologue.
Joël Cornette remonte d’abord le cours de l’histoire. Après avoir rappelé l’existence de la première trace écrite découverte en Armorique, l’universitaire détaille diverses “séquences fondatrices” de l’identité bretonne. Avec recul, il rappelle, dans le premier chapitre, les migrations des “grands bretons” (Gallois, Scots, Irlandais…) aux Ve et VIe siècle en raison du surpeuplement de l’île et sous la pression des Angles, la première fois où le terme “Bretagne” est apparu (VIe), le traité d’Angers (en 851) qui accorde à la région le statut de royaume subordonné, sans oublier l’existence du duché de Bretagne.
Durant six siècles (du Xe au XVIe), même si les rapports avec son voisin sont nombreux, la Bretagne est dirigée par un duc couronné à Rennes (il vit à Nantes), détient sa propre monnaie, est aussi peuplée que les Pays-Bas, a sa propre langue (portée par le peuple). Jusqu’à son “annexion forcée” en 1532. Cornette décrypte les manœuvres intelligentes de la France pour que les Bretons acceptent le “deal”.
Il rappelle, aussi, que la “Nation France” a essayé de nier l’identité bretonne (ma grand-mère se faisait taper sur les doigts à l’école pour avoir parlé breton), le côté très imagé de cette langue, les révoltes régulières de sa population contre Paris (notamment dans la région de Carhaix), les succès locaux et la fierté retrouvée de ses habitants. Quel festival de musique de l'hexagone n’a pas, aujourd’hui, son drapeau breton ?
L’historien est nuancé et ne verse pas dans le nationalisme. Il “égratigne” les mythes (Anne de Bretagne, dont il a signé une biographie), ne nie pas les difficultés de la région (archaïsme et retard économique du passé, la violente transformation agricole de la région…) même si le dernier chapitre “Identité reconquise”, le plus court, nous laisse quelque peu sur notre faim. Les habitants de la région souffrent, encore aujourd’hui, d’un profond mal-être. En Bretagne, on se soûle, on se drogue, on déprime et on se suicide plus qu’ailleurs en France.
L’ajout des 80 dates à la fin de l’ouvrage est pertinent, car les allers-retours historiques ne sont pas toujours simples à suivre. Cet essai est exigeant mais ceux qui s’accrocheront ne déambuleront plus jamais au château de Brest, à la porte mordelaise à Rennes ou sur les bords de la Loire à Nantes de la même façon. Parole de Breton.
--> ★ ★ Une brève histoire de l’identité bretonne – De Himilcon à nos jours | Essai de Joël Cornette | Éditions Tallandier | 240 pages, 19 euros €
EXTRAIT
"Comment peut-on être Breton ? Comment le devient-on ? De quelle singularité la Bretagne peut-elle être créditée ? Comment comprendre le décalage entre la fierté des Bretons et leur image vue et transmise par d'autres ? Pourquoi cette identité ?"