Indridason plonge avec délices dans le passé
Son roman historique raconte le passé terrible de l’Islande à travers un dialogue entre le roi et un horloger.
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Publié le 11-02-2023 à 11h00
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L'écrivain islandais n'écrit pas que de formidables romans policiers sur notre époque. Il peut exceller aussi dans le roman historique comme le démontre Le roi et l'horloger, palpitant de bout en bout. Il nous amène à Copenhague sous le règne du roi Christian VII (1749-1808), un monarque qui sombra peu à peu dans la démence.
Celui-ci confie à Jon Sivertsen, un horloger venu d'Islande, le soin de réparer une merveille d'horlogerie due au légendaire Isak Habrecht, mais cassée et hors d'usage. Une horloge vieille alors de 200 ans, la copie de l'horloge astronomique de Strasbourg.
Peu à peu, tandis que l'horloger s'applique à comprendre les mécanismes de l'horloge pour arriver à la reconstituer, un dialogue s'entame entre ce roi fantasque qui vient le voir parfois en robe de chambre, une bouteille de madère à la main, et Jon, venu de cette terre d'Islande qui appartenait alors au Royaume du Danemark mais que le roi n'avait jamais visité.
Les chapitres s'entrecroisent, faisant alterner le présent, avec Jon et son récit au roi Christian, et le passé, avec les faits tels qu'ils se sont déroulés 50 ans auparavant et qui ont frappé le père de Jon et sa compagne.
Arnaldur Indridason revient souvent dans ses romans sur le passé de sa terre natale. Dans Le roi et l'horloger, il montre la cruauté des lois au XVIIIe siècle, qui s'appliquaient à ses ancêtres et qui se revendiquaient des préceptes divins.
Usurpation
L'intrigue est un imbroglio dans lequel le père de Jon, Sigurdur, va sombrer. Il a accepté par générosité, d'assumer la paternité d'un fils de sa femme né hors mariage. Mais par un concours de circonstances et d'omissions successives, lui et sa nouvelle compagne, Gudrun, sont accusés à tort par le bailli de crimes passibles de la peine de mort. Le bailli qui incarne l'autorité l'accuse d'usurpation de paternité et surtout d'avoir couché avec la mère de son petit-fils.
Les peines de morts d'alors appliquées en Islande étaient d'une cruauté inouïe : décapitation à la hache pour les hommes et noyades pour les femmes fautives enfermées dans un sac et jetées à l'eau.
Le Roi revient sans cesse dans l'atelier de l'horloger pour lui demander de raconter la suite de son histoire si dramatique. Il semble profondément ébranlé par ce que Jon lui raconte. Il découvre la cruauté de ses représentants lointains et l'hypocrisie des lois.
Car lui-même a eu de nombreuses liaisons et aime arpenter incognito les bas-fonds de Copenhague avec ses bordels. Et le père de sa fille est en réalité le médecin Struensee (un fait historique), l'amant de sa femme. Le bailli qui le représente en Islande, avec la plus grande cruauté, est aussi un homme corrompu.
Arnaldur Indridason nous captive avec ce suspense basé largement sur des faits réels, plein aussi de fureurs. Comme lorsque le père de Jon chasse le requin et dérive sur un morceau de banquise, ou lorsqu'il décrit ce que peuvent être ces exécutions capitales ou même quand il explique simplement que le plus fameux des mets était le requin faisandé.
Le roman est aussi une réflexion sur le pouvoir, sur le temps (l'horloge en est le symbole), sur la raison (Christian VII est-il vraiment fou ?), et sur le statut de la vérité.
-> ★ ★ ★ Arnaldur Indridason | Le roi et l'horloger | roman historique | traduit de l'islandais par Eric Boury | Métailié | 318 pp., 22 €, version numérique 15 €
EXTRAIT
"Le fonctionnaire continua sur cette lancée, sans mesurer combien Jon désapprouvait sa médisance. Selon lui, le roi était victime d’hallucinations, il avait couché dans sa jeunesse avec des hommes et des femmes, et, bien souvent, particulièrement au début de son règne, des membres de la cour l’avaient surpris en train de s’adonner au plaisir solitaire, un comportement qui n’avait pas été sans poser de graves problèmes à l’époque."