L’album photo d’Auschwitz qui éradique le négationnisme
Plutôt que de glorifier leurs crimes, des photos nazies les condamnent finalement sans appel.
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Publié le 17-02-2023 à 09h00
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Le péché d’orgueil guetta aussi les nazis. Pire même…, pour ne pas dire… tant mieux ! Car les négationnistes jusqu’au-boutistes de la Shoah ne peuvent plus affirmer que la Solution finale n’a pas été exécutée. À preuve, 195 clichés réalisés par de pas si "petits soldats" d’Hitler démontrent le contraire. Et ce par ce qu’on a appelé l’album d’Auschwitz, qui était connu depuis 40 ans mais dépiauté scientifiquement, preuves iconiques à l’appui ces dernières années par trois historiens, le Français Bruttmann et ses collègues allemands Hördler et Kreutzmüller. Tout un symbole en soi, aussi…
L'album d'Auschwitz ? En fait, un "reportage" germano-nazi ou plutôt une commande d'une sorte d'audit interne avant la lettre, réalisé entre mai et juillet 1944 lorsque des milliers de Juifs hongrois furent déportés à Auschwitz-Birkenau. C'est que Bernard Walther et des photographes employés au service anthropométrique de l'administration d'Auschwitz entendaient montrer à leurs chefs la "bonne mise en œuvre" d'une dernière opération logistique d'envergure. Ces SS photographièrent les prisonniers de l'arrivée des convois jusqu'aux chambres à gaz ou au camp pour ceux qui purent éviter la mort immédiate. Ledit Album d'Auschwitz fut retrouvé par une rescapée, Lili Jacob, qui réussit à l'emporter. S'il servit de preuves dans moult procès, ses images restaient méconnues. À l'heure où les derniers témoins se font rares, il était temps d'analyser ces documents uniques. Préfacé par Serge Klarsfeld, c'est le fruit de plus de cinq années de recherches de spécialistes de la Shoah. Ils ont redonné vie et dignité aux personnes photographiées parfois quelques minutes avant leur mort.
Mondialement connues mais…
Pour Tal Bruttmann, "ces photos sont certes mondialement connues. Mieux, elles sont ancrées dans les représentations, et ont irrigué la culture populaire. Mais si on les a vues isolément, on ignorait qu'elles provenaient d'un album nazi".
Serge Klarsfeld a joué aussi un rôle de pointe : il a pu retrouver Lili Jacob et la convaincre de léguer l’album à Yad Vashem. Une aventure de 35 ans… puis il fallut encore 40 ans pour que l’album commenté réponde à tant de questions restées en suspens. Cela dit, les connaisseurs de la Shoah ont appris bien des choses. Tout d’abord, contrairement à ce qu’on pensait, l’album ne refléta pas le compte rendu d’un mais d’une douzaine de convois. Il en ressort aussi qu’Eichmann projetait d’assassiner 600 000 juifs en trois mois. La pression fut telle qu’on rappela l’ancien chef du camp Rudolff Höss de Berlin. Les photos sont parfois très dures à regarder mais il n’en ressort paradoxalement aucune violence volontaire. Bruttmann et ses collègues ont aussi fait des découvertes. Par exemple que des travaux étaient encore en cours. Comme ceux d’une nouvelle gare qui ne fut pas achevée.
L’humanité des victimes
Il en ressort aussi que les victimes n’étaient pas prêtes à se laisser exterminer sans réaction malgré la longueur du voyage et ses conditions inhumaines. Ainsi on est loin de l’holocauste lorsque des enfants ou des femmes tirent ouvertement la langue face à l’objectif… Humiliés mais combatifs…
L'album d'Auschwitz restera prégnant dans le futur. Pour Yad Vashem, "l'album d'Auschwitz est la seule preuve visuelle restante du processus qui y a conduit au massacre de masse". On ne soulignera donc jamais assez l'acte de bravoure de Lili Jacob comme l'intervention de Serge Klarsfeld aussi proactif ici qu'il le fut par la suite dans les procès Papon et autres. Et, enfin, comme l'a bien souligné Olivier Wieviorka, les historiens ont restauré l'humanité des victimes que les assassins vouaient à une mort industrielle et désincarnée…
--> ★ ★ ★ ★ Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller | Un album d'Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes | Essai | Univers historique, le Seuil, 303 pp., 49 €