"La littérature peut tout, et elle doit tout se permettre, on n’est pas là pour plaire"
Lilia Hassaine a 32 ans, elle est journaliste et a déjà fait paraître deux romans. Ce qui ne l’empêche pas de signer ce printemps “Des choses sans importance”. De la poésie du XXIe siècle, ni poseuse, ni prétentieuse. On a trouvé son autrice très connectée. À elle et aux autres. Conversation les yeux dans les yeux.
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Publié le 26-03-2023 à 17h00
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Ces choses sans importance, dont vous nous parlez, on n’est si pas sûrs qu’elles soient sans importance ?
Les choses sans importance sont les plus importantes ! Même si, souvent, on n’y fait pas attention. C’est le cas de la poésie. Elle est partout, elle nous habite, à travers les contes de notre enfance. Mais lui accorder de l’importance supposerait bien sûr de prendre le temps…Et pourtant il y a des moments où on a besoin d’exprimer quelque chose de plus personnel, c’est ce qu’on retrouve dans des notes de téléphone, des carnets…
Vous avez signé deux romans, "L'oeil du paon", et "Soleil Amer". On vous connaît comme journaliste, chroniqueuse. Vous ne manquez pas de travail… Pour ce recueil, vous vous êtes assise à la table et avez écrit de la poésie…
Un ouvrage de poésie ne s’écrit pas sur commande. Beaucoup de choses sont précisément d’une grande sincérité, parce que je n’avais pas prévu de les publier. Je suis allée fouiller dans ma mémoire, mon ordinateur, des carnets. Tous ces morceaux disaient des portions de vérité.
Pourriez-vous nous dire ce qui est caché derrière cette phrase-là : “Ils eurent beaucoup d’enfants mais ne se marièrent jamais”. Vous aviez envie de nous sortir de nos contes de fées ?
Il suffit de passer cinq minutes sur les réseaux sociaux pour voir beaucoup de mariées. Qui se ressemblent toutes. Alors qu’on est dans une époque de féminisme, où les femmes le revendiquent, ou tout le moins, l’assument, je trouve paradoxal, voire contradictoire tous ces mariages en robe blanche, symbole de virginité. J’ai l’impression qu’on respecte ce moment comme une féerie, alors qu’en réalité, c’est le moment où la femme est coincée dans les discours d’un prêtre ou d’un maire. De mon côté, je trouvais intéressant de questionner un conte moderne, qui, aujourd’hui, passerait par 'la non-demande en mariage', comme disait Brassens. Le rôle de la poésie, c’est d’aller dans les recoins...
Vous écrivez : ”Souviens-toi, les hommes ont toujours peur de ce qui les rassure. Les femmes aussi, sans doute. J’ai moi-même écarté nombre de prétendants sous prétexte qu’ils risquaient de me rendre heureuse”.
J’ai l’impression qu’il y a parfois des relations se terminent, alors que tout se passait bien, Et c’est précisément pour ça que ça s’arrête. C’est un jeu pervers, parfois l’amour. On demande à être rassuré mais on ne veut pas l’être, même si ça fait partie du lexique… Ce qu’on cherche est beaucoup plus indéfinissable. On a besoin d’éprouver.
L’écriture permet-elle de guérir ? Elle nous guérirait des êtres, des histoires, des souvenirs…
Je ne crois pas. En allant chercher des notes, c’est finalement la douleur que j’ai pu ressentir. Et je me suis rendu compte qu’elle était toujours là, en moi, cachée. Je n’avais d’ailleurs pas du tout envie de la guérir. Je ne crois pas à la fonction thérapeutique de l’écriture. Au contraire, plus on écrit, plus on cherche. Plus on fouille, plus on peut faire remonter des choses à la surface.
"On parle beaucoup d'inclusivité, il faut inclure les autres, mais on ne s’inclut jamais soi-même. On ne se tolère pas beaucoup en réalité".
Les autrices, les auteurs qui écrivent de l’autofiction ne se mettent dans des positions confortables. Ils ne se disent pas : ”J’ai tout mis dans le livre, je m’en suis débarrassé”. Au contraire, on ravive, on retrouve les états dans lesquels on était. C’est aussi le chemin de l’écriture, d’affronter. Mais il faut une disposition d’esprit à vouloir, quand même, aller fouiller dans des terrains pas toujours agréables (rires).
Vous faites une différence entre écriture journalistique et cette écriture poétique ?
J’ai l’impression que ça n’a rien à voir. C’est comme le solfège et la musique. Finalement, les notes, on les connaît. C’est pareil avec la poésie. Il y a tout à coup un agencement de mots qui s’entrechoquent. Parfois, c’est simplement une tonalité qui pince le cœur, on ne sait pas trop pourquoi. L’écriture journalistique, elle, toque à la porte de la raison. Avec la poésie et la littérature, on ne touche au même endroit. À cet endroit, on peut être dans la contradiction, on a le droit d’être absurde… Dans un article, il faut qu’il y ait une cohérence. Mais la vie n’est pas toujours cohérente et la littérature est là pour le dire.
Dans ce tout petit chapitre sur l’amour, vous faites la leçon au mot 'amour'. Un seul mot pour dire tant de choses différentes, “un mot utilisé par la pire des ordures qui a tué sa femme/par amour”.
C’est pour ça que le mot “amour” est le plus beau mot mais aussi le plus rabâché. Aujourd’hui, j’ai du mal à utiliser ce mot pour ce que je ressens de manière intime ; j’ai l’impression de prendre des mots des autres, de l’avoir entendu, la veille, dans un film, de l’entendre dans un docu qui parle de crimes passionnels. En grec ancien, il y a plein de mots pour dire “l’amour”, on n’a pas cette richesse sémantique en français. En tout cas, le travail de la poésie, c’est de titiller les mots […] J’adorerais que tous les amoureux aient leur mot à eux.
Dans la manière dont vous racontez ces choses sans importance, vous faites entendre de la tristesse. Vous ne la cachez pas...
Je trouve précieux de pouvoir être connecté à la tristesse. On parle beaucoup de l’inclusivité mais c’est toujours à l’extérieur, il faut inclure les autres, on ne s’inclut jamais soi-même. On ne se tolère pas beaucoup, en réalité. Ce recueil reflète des pensées honnêtes, même si, comme c’est de la poésie, c’est toujours un peu crypté. Même moi, il y a des choses que je ne comprends pas, et que je ressens. Cela vaut le coup de les écrire, de gratter trois lignes sans chercher à analyser. Je crois sincèrement que la littérature peut tout. Et qu’elle doit tout se permettre. On n’est pas là pour plaire.
-- > “Des choses sans importance”, de Lilia Hassaine, chez L’Iconopop, 14 €.
