Houellebecq, Tesson et Moix : une "extrême-droite littéraire" dénoncée dans un livre
Le journaliste François Krug dénonce dans une enquête la proximité des trois écrivains avec des figures de l’extrême droite intellectuelle. La presse française rebondit sur son livre.
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Publié le 30-03-2023 à 13h24 - Mis à jour le 30-03-2023 à 15h08
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Il n'a pas fallu vingt-quatre heures pour que le livre Réactions françaises - enquête sur l’extrême droite littéraire du journaliste François Krug (édition du Seuil) fasse grand bruit, via des articles dans Libération, L'Obs et Médiapart. "Une enquête qui se lit comme un roman, avec son lot de secrets, de trahisons et de mauvais démons", lit-on dans L'Obs. François Krug est un ancien journaliste du Monde et du site Rue89. Il a également écrit le scénario d'une bande dessinée journalistique sur l'affaire Benalla.
"J’ai voulu raconter une histoire, celle d’une génération qui a eu une activité intellectuelle que l’on peut qualifier d’extrême droite", explique François Krug à Libération. "Ce récit commence à un moment où le FN est encore diabolisé, où la jeunesse “emmerde” encore le Front national. Ce courant politique, ses idées ou son esthétique ont pu représenter pour ce milieu une forme de contre-culture à l’hégémonie culturelle de la gauche." Selon François Krug, cet activisme culturel à bas bruit ne signifie pas nécessairement une adhésion aux thèses de l’extrême droite. Mais il estime cet activisme "totalement sous-estimé" et contribue à la banalisation des discours des plus réactionnaires.
Complaisance
Nous n'avons pas encore pu consulter le livre de François Krug. Nos confrères en citent nombre d'extraits. Certains faits sont connus - comme la publication par Yann Moix, alors étudiant, du fanzine antisémite Ushoahia. "Son récit ne contient pas de révélation fracassante, précisent nos confrères de Libération, mais dépeint efficacement la complaisance d’une partie du milieu culturel mondain avec les idées de la droite la plus radicale."
Les trois écrivains, chacun à leur manière, ont "fréquenté l’extrême droite dès leurs débuts, puis au long de leur carrière, par goût de la provocation, par curiosité intellectuelle, par fascination esthétique et, parfois, par sympathie idéologique", écrit Krug, dont l'enquête couvre les trois dernières décennies, période pendant laquelle les "digues idéologiques ont sauté", permettant aux obsessions antisémites, xénophobes ou nationalistes de sortir des "marges", selon le journaliste.
"Chacun d’eux a entretenu, et parfois continue d’entretenir, des liens avec l’extrême droite", relève L'Obs. "Bien au contraire, tous ont cherché à brouiller les pistes. Voire à effacer les traces les plus compromettantes qui auraient pu nuire à leur carrière." Erreur de jeunesse (Yann Moix), distinction auteur/narrateur (Michel Houellebecq), apolitisme antimoderne (Sylvain Tesson) sont leurs réponses les plus fréquentes aux soupçons ou accusations régulières à l'égard de leur pensée.
Réseautage de fait
Aucun des trois écrivains n’a donné suite aux sollicitations de François Krug durant la rédaction de son ouvrage, ni à celles de Libération, qui a cherché à les joindre par l’intermédiaire de leurs éditeurs. Ce qui semble ressortir de l'ouvrage, c'est une constance de fait dans la nature de certaines fréquentations. Lorsqu'elles deviennent problématiques ou sulfureuses, les trois écrivains s'en éloignent ou les renient. Mais se tournent aussitôt vers d'autres figures.
Le livre de François Krug met en lumière une forme de réseautage informel qui distille dans la société française un courant réactionnaire. Le directeur de Valeurs actuelles Geoffroy Lejeune aurait suggéré à Emmanuel Macron de décerner la Légion d’honneur à Michel Houellebecq, par l'intermédiaire de Bruno Roger-Petit, conseiller "mémoire" du président français. Le 1er janvier 2019, Houellebecq figure dans la liste des récipiendaires. Un an plus tard, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin provoque la polémique en dénonçant l’"ensauvagement d’une partie de la société française", une lourde sémantique, dont Krug retrace la généalogie dans les fréquentations de l'écrivain de La Carte et le territoire.