Avec "Stella Maris", Cormac McCarthy signe le sombre préquel du "Passager"
Le second volet du diptyque de l'auteur de "La route" donne la parole à une jeune femme en souffrance.
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Publié le 11-05-2023 à 13h00
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Second volet du diptyque entamé avec Le Passager, paru en mars dernier, Stella Maris est vraisemblablement le dernier roman que devrait publier l'écrivain américain Cormac McCarthy (Providence, 1933). Pour la première fois, l'auteur de La route (prix Pulitzer 2007, vendu à plus d'un million d'exemplaires) y fait d'une femme son personnage principal : Alicia Western, la sœur de Bobby, autour duquel était construit Le Passager, roman qui se déroulait au début des années 1980. Physicien et homme d'action, il y apparaissait hanté par le suicide, dix ans plus tôt, de sa sœur, adolescente surdouée qui luttait contre des troubles schizophréniques. L'amour qu'il lui portait n'avait pas suffi à la retenir à la vie.
Stella Maris est le nom de l'institution psychiatrique dans laquelle Alicia vient d'être admise à sa demande, alors que s'ouvre le roman. Nous sommes en 1972. Cette démarche volontaire pourrait la classer parmi les sains d'esprit, d'autant qu'aucun diagnostic de schizophrénie proprement dit n'a jamais été établi la concernant.
Haut vol
Le roman de Cormac McCarthy est constitué dans son entièreté par le dialogue, fragmenté en neuf séances, entre le docteur Cohen, un jeune psychiatre peu expérimenté, et Alicia, qui a déjà séjourné dans l’établissement. On le sait, les joutes entre un thérapeute et son patient peuvent relever du défi intellectuel. Et c’est ce qui advient ici, tant le discours d’Alicia, qui fut une étudiante en mathématiques précoce et brillante (diplômée de l’université de Chicago à seize ans), est particulièrement élevé d’un point de vue intellectuel. Face à des propos et des analyses de si haut vol, on est en droit de s’interroger : jusqu’où est-elle sincère ? Son vis-à-vis est-il suffisamment armé pour l’aider ?
Je n'aurais pas dû dire ça. Parfois j'oublie que vous êtes de l'autre côté.
Après le roman de Bobby, texte âpre, mélancolique, complexe, parfois déroutant, le roman d'Alicia nous permet de pénétrer dans l'univers d'une jeune femme fragile. Elle s'y livre sur son parcours, ses découvertes à l'université et son mentor, ses désillusions, ses parents (brillant physicien, son père avait travaillé aux côtés d'Oppenheimer, qui mit au point la bombe atomique), le lien très particulier qui l'attachait à Bobby. Mais aussi sur sa passion pour le violon et la musique, ainsi que sur ses "familiers" (les personnages qui lui apparaissent - dont le Kid, rencontré dans le récit de ses hallucinations repris dans Le passager) et leur rôle.
Réflexion sur la destruction et le mal, regard désabusé sur le vingtième siècle, critique de la prise en charge des malades mentaux, désespoir larvé : Stella Maris est la singulière confession d'une jeune femme qui s'apprête à commettre l'irréparable. Ce testament (celui de Cormac McCarthy ?), très cérébral, est celui d'un esprit chancelant trop perspicace pour s'accommoder de ce que la vie pouvait lui offrir.
--> ★ ★ Cormac McCarthy | Stella Maris | Roman | traduit de l'anglais (États-Unis) par Paule Guivarch | L'Olivier, 251 pp., 21,50 €, numérique 16 €
EXTRAIT
"Est-ce qu'on a une relation de travail avec l'inconscient ? Est-ce que c'est une entente réciproque ?
Non. Ce serait aller un peu loin.
Est-on libre de l'ignorer ?
Bien sûr. Si on veut. On pourrait appeler ça une pris de contrôle manuelle. Ce qui n'est pas toujours la bonne idée bien sûr.
Vous avez parlé de ces idées à d'autres thérapeutes ?
Pas beaucoup. Ils s'ennuient assez vite."