Regards français sur la tragédie de mai 1940
Alain du Beaudiez en retrace le déroulement militaire, Gérard Araud les causes diplomatiques.
Publié le 11-05-2023 à 11h13
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Le 10 mai 1940 : il y a 83 ans, ce mercredi, l’Allemagne envahissait la Hollande, qui capitula dès le 15, la Belgique, qui fit de même le 28, et la France qui sollicita un armistice. Celui-ci fut signé, le 22 juin, à Rethondes, dans le wagon-salon du train spécial du maréchal Foch, où avait été signé l’armistice de 1918 demandé alors par l’Allemagne, et qu’Hitler fit amener ensuite à Berlin pour y être exposé en attendant de le faire détruire en avril 1945 à l’effondrement du Reich.
Les années qui conduisirent D'un armistice à l'autre nous sont contées par Alain du Beaudiez, ancien officier pilote de l'armée de l'Air et ingénieur conseil. Sans donc être un historien professionnel, il déploie dans son ouvrage un remarquable talent narratif, une formidable compréhension du déroulé des batailles de mai-juin 1940 et une appréciable absence d'esprit partisan.
Précision incomparable
Si l’Armistice du 11 novembre mit fin aux combats, c’est le Traité de Versailles, signé le 28 juin 1918, qui mit fin à la guerre. Il fut le résultat de beaucoup de confusions, d’ignorances et d’intérêts divergents. Et les Français se sentirent rapidement abandonnés par leurs Alliés : Lloyd George, le Premier ministre anglais, se souciait surtout du découpage de l’empire ottoman (en raison des gisements pétroliers du Proche-Orient) et le président américain Wilson n’était vraiment intéressé que par la création d’une "Société des Nations" (SDN) !
Alors qu'à partir de 1935, Hitler réalisa ce qu'il avait annoncé dès 1925 dans son livre-programme Mein Kampf, la France ne se prépara jamais sérieusement à un affrontement avec une Wehrmacht qui se modernisait à vue d'œil (aviation, blindés). Trois hommes en furent la cause, estime l'auteur : Maurice Gamelin, le commandant en chef des armées, et les présidents du conseil, Édouard Daladier et Paul Reynaud, des hommes qui ne surent pas, écrira de Gaulle, se hisser à la hauteur des circonstances.
Cela dit, Alain du Beaudiez raconte les combats de mai-juin 1940 avec une précision incomparable, qu’il s’agisse de la stratégie des états-majors, du comportement des troupes, des armements ou des encombrantes vagues de réfugiés. Je ne ferai qu’une réserve : oui, le roi Léopold III a rappelé la neutralité traditionnelle de la Belgique en 1936, mais, contrairement à ce que semble penser l’auteur, les contacts ne furent jamais rompus entre les états-majors belge et français.
Un Armistice revisité
La débâcle française amena le maréchal Pétain, appelé au secours par les autorités civiles, à demander un armistice. À son propos, Alain du Beaudiez fait une remarque capitale : "Alors que l'Armistice de 1918 a été imposé à l'Allemagne sans aucune négociation, l'Armistice de 1940 a fait l'objet d'une négociation préalable. Ce fait est capital, car il a permis à la France de bénéficier de clauses très favorables dans le contexte du moment. Toutefois, ce contexte de négociation a pesé sur la suite des événements et sur l'attitude du régime de Vichy le conduisant, à terme, à la collaboration" (p. 334).
La "zone libre", autrement dite non occupée par les Allemands avant 1942, accueillit de ce fait de nombreux réfugiés, notamment juifs, et les premiers réseaux de résistants. Par ailleurs, la clause maintenant l’empire français en dehors de la guerre permit au général Weygand, nommé par Pétain délégué général pour l’Afrique du Nord, de rebâtir secrètement une armée à Alger, en liaison avec les services secrets américains. Deux conséquences de l’Armistice bien méconnues.
Des Français bien seuls
De son côté, Gérard Araud, ancien ambassadeur de France en Israël et à Washington, conclut de son intéressante histoire diplomatique de la France entre 1919 et 1939 qu’elle fut bien seule face à une Allemagne qui se releva rapidement et bientôt se réarma. Les Français crurent pouvoir s’abriter derrière une ligne de défense (la ligne Maginot, du nom du ministre qui l’initia), mais ils l’arrêtèrent à Sedan ! Les Allemands, pas idiots, la contournèrent par les Ardennes belges !
--> ★ ★ ★ Alain du Beaudiez | D'un armistice à l'autre. 1918 et 1940. Le wagon de Rethondes | Histoire | Albin Michel, 358 pp., 23 €, version numérique 16 €
--> ★ ★ Gérard Araud | Nous étions seuls | Histoire | Tallandier, 336 pp. 23 €