Une famille irlandaise condamnée à la survie
Retraçant trois destins d’un même clan, Billy O’Callaghan rend hommage à sa propre famille.
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Publié le 11-05-2023 à 08h03
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Trois générations d'une même famille. Trois moments charnière dans l'histoire récente de l'Irlande. Trois destins malmenés sans avoir abdiqué une once de dignité. Tel est le propos de Parfois le silence est une prière (Life Sentences), roman d'une infinie justesse qui, malgré les noirceurs traversées, porte en lui une détermination et une générosité qui donnent foi en l'humanité.
"S'en sortir, quel qu'en soit le prix" : tel pourrait être le mantra de la famille qui nous est dépeinte tant, de la deuxième moitié du XIXe siècle au début des années 1980, la lutte aura été de tous les instants. Tout commence avec Nancy, qui a quitté dès qu'elle l'a pu la petite île de Clear où ses débuts dans la vie ne furent que famine et désespoir. Volontaire, elle trouve du travail chez une dame qui vit seule, en échange du gîte et du couvert. En dépit de son corps décharné par les années de privation, elle séduit Michael Egan, le jardinier, qui omettra de lui dire qu'il est sur le point de se marier. C'est le début d'une dégringolade qu'elle va affronter avec autant de courage que d'abnégation.
Étranger à lui-même
Avant cela, le roman s’était ouvert sur son fils Jeremiah qui, en 1920, est un mari et un père comblé. S’il a retrouvé quelque stabilité auprès des siens, il reste profondément marqué par l’expérience de la guerre, lui qui a notamment connu les tranchées, vu nombre de ses camarades tués, et participé à la bataille de la Somme.
"S'il ne sait qui il est ni d'où il vient, un homme reste un mystère pour lui-même." Jeremiah est avant tout un homme étranger à lui-même, marqué d'avoir grandi sans père, sans repère, sans ancrage. "En France, je me souviens que nos officiers de commande nous disaient que penser trop au passé était la meilleure façon de se faire tuer. Et ce qui était vrai à l'époque l'est encore aujourd'hui […] : ce qu'il faut pour s'en sortir, c'est avoir l'esprit clair." Épaulé par une femme qu'il aime et qui l'aime, fier de ses enfants, il avance comme il peut, préoccupé par le sort de sa grande sœur maltraitée par un mari alcoolique.
La vie est une lutte, et nous l'avons menée ainsi que le font les gens de notre espèce.
Nellie, la plus jeune fille de Jeremiah, clôt ce triptyque familial en 1982, alors qu'elle vit le dernier chapitre de son existence. "J'ai fini par comprendre qu'on trouve la paix dans l'acceptation. Le bonheur pour moi, maintenant, est dans l'appartenance." Elle dont la vie a également été marquée par un grand malheur connaît une forme d'apaisement à l'heure de quitter ce monde.
Avec le succès des Amants de Coney Island (Grasset, 2019), Bill O'Callaghan (Cork, 1974) rend hommage à sa propre famille avec ce deuxième roman. De sa plume lumineuse et délicate malgré les trajectoires décrites, il ne craint point d'orchestrer des moments de confrontation et de vérité délicats. Ce faisant, il offre à ses personnages, qui évoluent à la lisière de la société, une incarnation et une noblesse remarquables. Conscients que cela ne suffira peut-être pas à tout affronter, ceux-ci se soutiennent, se parlent, se tendent la main. Cet attachement inaliénable et les sacrifices consentis font des membres de cette famille qui eurent toujours à lutter pour leur survie des héros hors du commun.
--> ★ ★ ★ ★ Billy O'Callaghan | Parfois le silence est une prière | Roman | traduit de l'anglais (Irlande) par Carine Chichereau, Bourgois, 287 pp., 21 €, numérique 13 €
EXTRAIT
"J'échappais désormais à l'emprise qu'il avait eue sur moi naguère car j'avais trop souffert pour m'ouvrir volontairement à lui et à toutes ces sornettes. Pourtant, une partie de moi avait encore envie que Michael Egan me désire, encore envie de savoir que je valais quelque chose, que j'étais une vraie personne; faite d'autre chose que de cette chair qu'il avait si avidement prise."