Tintin, un jeune journal de 77 ans : “Hergé, c’était la classe absolue”
Pour son 77e anniversaire sort un numéro collector. Dany, qui y a participé, nous dévoile les coulisses de cet hebdomadaire qui a vu passer Hergé, Edgar P. Jacobs, Franquin, Goscinny et bien d’autres géants de la BD.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/c644ff66-61e6-46b5-b06d-08bc3ff5f82d.png)
- Publié le 02-09-2023 à 16h11
:focal(1719x1458:1729x1448)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/NCMVQ5B2PZDRZONA3YB4WSMUXU.jpg)
Les jeunes de 7 à 77 ans vont prendre un petit coup de vieux le vendredi 8 septembre. Après 35 ans d’absence, Le Journal Tintin, qui a bercé l’enfance de tant de bédéphiles, revient en libraire grâce au Lombard et aux Éditions Moulinsart. Pas de manière pérenne, mais dans un numéro collector, destiné à célébrer son 77e anniversaire. Et quel numéro : une “brique” de 400 pages, dont plus de 300 illustrées de bandes dessinées inédites à côté d’articles de fonds. L’occasion de découvrir de nouvelles aventures de héros iconiques du 9e art, repris par des grands talents actuels.
Le menu est copieux : Michel Vaillant, Alix, Clifton, Modeste et Pompon, Comanche, Ric Hochet, Chlorophyle, Bob et Bobette, Blake et Mortimer, Robin Dubois Cubitus, Bernard Prince, Dan Cooper, Vasco, Olivier Rameau ou Séraphin Lampion, par exemple, changent parfois radicalement de look tandis que Buddy Longway et Jonathan ont droit à des inédits de leurs créateurs respectifs, Derib et Cosey. Grosse bouffée de nostalgie garantie, tout en appréciant l’évolution depuis le lancement de l’hebdomadaire, le 26 septembre 1946, à l’initiative de Raymond Leblanc, André Sinave et Georges Lallemand. À l’origine, il était vendu 3,50 francs (soit 0,87 euro) pour 12 pages, tirées à 60 000 exemplaires. Hergé en charge de la ligne rédactionnelle recrute des pointures comme Edgar P. Jacobs, Paul Cuvelier ou Jacques Laudy pour imposer un style réaliste et des aventures éducatives. Avec le temps, l’humour va se frayer une place de plus en plus importante, avec l’arrivée de Franquin, Goscinny, Dupa, Turk ou Dany par exemple. Le succès aidant, Tintin va proposer jusqu’à 68 pages et un tirage de 600 000 exemplaires. La belle aventure s’arrête le 29 novembre 1988 : les ayants droit d’Hergé ont choisi de lancer leur propre magazine, Tintin Reporter, sans Le Lombard.
C’en est fini du Journal Tintin. Mais les souvenirs restent. Et Dany, le créateur d’Olivier Rameau (et Colombe Tiredaile) en garde plein la tête à 80 ans. “À 77 ans, à mon anniversaire, lors du festival d’Angoulême, on m’a remis un diplôme m’autorisant à continuer à lire Tintin au-delà de 77 ans, lâche-t-il en riant. Le moment le plus émouvant, mais tous les auteurs vous diront la même chose, c’est la parution des toutes premières planches d’Olivier Rameau dans Tintin. C’était extraordinaire. À l’époque, on ne pensait pas aux albums. On travaillait pour le Journal Tintin. C’est lui qui nous payait à la planche et cela nous permettait de bien vivre, à l’époque. Six mois après avoir commencé, j’ai pu m’acheter une voiture, et tout le monde n’en avait pas à ce moment-là. Aujourd’hui, c’est nettement plus compliqué pour ceux qui se lancent.”
Pourquoi avoir choisi de rendre hommage à Ric Hochet dans ce Tintin du 77e anniversaire ?
“Tibet était mon meilleur ami. L’homme le plus drôle que je connaisse. Il racontait les histoires mieux que n’importe quel humoriste. Mon parcours a commencé grâce à lui. Alors que j’étais à Saint-Luc, à Liège, j’avais été choisi par Mittéï, qui avait besoin d’un assistant. Deuxième coup de chance, il était lui-même l’assistant de Tibet et de Greg. J’ai donc commencé mon métier en faisant les décors de Rick Hochet, Achille Talon, etc. C’était extraordinaire. J’en suis devenu très proche par la suite. Greg m’a fait entrer dans son studio et alors qu’il était devenu rédacteur en chef du Journal Tintin, il m’a proposé Olivier Rameau. Une merveilleuse histoire. On était publié dans le journal, et si ça marchait bien, suite au référendum, on nous essayait dans la collection Jeune Europe, avec une couverture souple, et si ça marchait toujours, on avait droit à la collection première. Greg était un génie. Certains lui ont reproché d’être un fabricant, parce qu’il créait énormément, mais je peux vous assurer qu’il était d’une authenticité absolue. Quand il écrivait Olivier Rameau, il était le poète de service. Quand il scénarisait Bernard Prince, il était un aventurier. Il avait un cerveau à tiroir et il était chacun des personnages.”
Olivier Rameau ne collait pas à l’image sérieuse et éducative du Journal Tintin en 1968…
“Ni à celle de la BD en général, qui était celle des super-héros américains. Arriver avec un oiseau Razibus et des personnages fantaisistes, c’était venir avec un ovni. C’est peut-être ça qui a plu, d’ailleurs. ”
Comment a réagi Hergé ?
“Il a été directeur artistique du Journal Tintin pendant très peu de temps. Comme il n’était pas d’accord avec le contenu, Raymond Leblanc lui avait demandé d’être directeur artistique pour tout contrôler. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Hergé pour la première fois. Mittéï m’avait conseillé de présenter les quatre planches que j’avais dessinées. Le rédacteur en chef me dit que ce n’est pas mal et qu’on va les présenter au directeur artistique. Je demande qui c’est. Il me répond : Hergé. J’étais liquéfié. J’avais 25 ans, j’étais dans mes petits souliers. Il arrive, la classe absolue, cheveux d’argent, le blazer, la cravate club. Il s’assied sur un coin de table et commence à regarder mes planches. Il me dit : 'C’est bien. On sent l’influence de Franquin : évidemment, c’est beaucoup plus facile à imiter que mon style'. Là, je suais à grosses gouttes. Il y avait déjà des jolies femmes dans cette histoire, et mon idole, à cette époque, c’était Kiraz, qui dessinait Les Parisiennes, avec des filles très stylisées et très longues dans Jour de France, le journal de ma mère. Je me disais que personne dans la BD ne connaissait Kiraz. Hergé arrive à la quatrième page et dit : 'Vos filles, là, évidemment, c’est du Kiraz.' Je me suis dit : 'Ce n’est pas vrai, il connaît Kiraz, je suis mort'. Mais il m’a conseillé de continuer à travailler et il a mis les planches dans un tiroir. Pour lui, ce n’était pas publiable. Six mois plus tard, Greg devient rédacteur en chef et je travaillais entre-temps dans son studio. Il dynamite le journal et me dit : 'On va publier quatre de vos pages.' Je les avais oubliées.”
Ce n’était pas frustrant d’être remballé par Hergé ?
“Il n’a pas dit non pour les pages, il trouvait qu’elles manquaient de personnalité et il avait raison, c’était inspiré par Franquin et Kiraz. Ce n’est pas vraiment refusé. Mais il ne les a pas prises non plus (rire). Je ne l’ai rencontré que trois fois, mais il était d’une extrême politesse. À New York, en 1972, c’était un peu plus chaleureux. Comme nous ne parlions pas bien anglais, cela nous a rapprochés (rire). C’était agréable, mais il avait une autre stature : c’était Hergé quand même. La dernière fois, c’était lors d’un hommage à Hergé. On avait demandé de dessiner sur une grande banderole. J’avais montré en très grand le bas des culottes de golf de Tintin, sur deux mètres cinquante, et un tout petit Olivier Rameau qui regardait vers le haut le géant de la BD. Cela lui avait plu.”
Vous avez aussi côtoyé des géants comme Franquin ou Goscinny…
“Tibet m’a ouvert beaucoup de portes. C’est lui qui m’a fait rencontrer Franquin, alors qu’on était voisins à Boitsfort ! Tous les vendredis, avec Franquin, Tibet, Hermann, De Groot, Géri, on jouait au billard. Un prétexte pour s’amuser. Franquin était aussi drôle dans la vie que dans ses BD. C’était le plus joyeux compagnon du monde quand il n’était pas dépressif. Qu’est-ce que j’ai eu comme fous rires avec Tibet et lui, tellement ils étaient inventifs. Ils tournaient tout à la rigolade. Ce n’était peut-être pas à mettre dans toutes les oreilles, mais c’était incroyablement drôle. Nous allions manger les uns chez les autres, mais avec Franquin, je me suis toujours senti un peu mal à l’aise. C’était mon idole absolue, celle de mon enfance, et je ne savais pas comment me comporter avec lui même s’il essayait sans arrêt de casser cette distance. Avec Graton, je suis devenu très ami. Je suis très fier qu’eux, tout comme Goscinny et Uderzo, m’aient témoigné de l’amitié. C’est énorme. Ce sont des géants, indiscutablement les meilleurs dessinateurs de bande dessinée de tous les temps. Uderzo parvenait à mettre une vie, un mouvement incroyable dans ses dessins. On dirait un dessin animé. Franquin aussi. Et ils ont toujours été bienveillants avec moi. Quand ma femme et moi avons eu un problème de santé, Goscinny nous appelait toutes les semaines. Encore maintenant, je n’en reviens pas : qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça. ”
Comment ont réagi les lecteurs du Journal Tintin en découvrant Olivier Rameau ?
“La différence a plu. Dans le premier référendum, sur 36 séries, j’ai occupé la troisième place. Greg n’en revenait pas, c’était extraordinaire. Malheureusement, par la suite, je n’ai jamais été premier : deuxième, quatrième, douzième, jamais premier. C’est un peu dommage. Peut-être que si j’avais fait plus d’albums, j’aurais eu une chance.”
Comment expliquez-vous le succès de cet hebdomadaire.
“C’était la grande époque des revues, avec Spirou, créé avant la guerre, Tintin créé en 46 et Pilote un peu plus tard. Cela comblait un vide. Avant, il existait beaucoup de petits journaux, mais avec des tirages bien moindres. À une époque, Tintin tirait à 600 000 exemplaires toutes les semaines. C’était énorme. Pour les gamins comme moi, on attendait avec impatience la sortie, avec ce côté “à suivre”. Parfois, il n’y avait qu’une page, comme pour les BD d’Edgar P. Jacobs, mais on se souvenait de la dernière case de la semaine précédente, parce qu’on avait que ça. Il y avait très peu de télé et on allait au cinéma une fois par semaine On vivait donc pour les aventures publiées dans ces journaux-là. Je suis resté une dizaine d’années au Journal Tintin. J’ai commencé à faire des illustrations de contes, des couvertures, des histoires courtes. Puis il y a eu la période Olivier Rameau, tout en travaillant pour Greg qui me mettait à contribution pour illustrer des dossiers ou des couvertures. Cela me permettait de mettre au point la technique de couleur directe que j’ai actuellement, parce que j’ai tout essayé : la gouache, l’écoline, l’aquarelle. À un moment, je me suis mis à collectionner les recueils. C’est un peu ma madeleine de Proust. De temps en temps, quand ça ne va pas, je me replonge dans une vieille BD de Tillieux et ça va mieux.”
Gil Jourdan vous faisait rêver ?
“Oui. C’était extraordinaire. Quelle qualité de récit. Les histoires policières étaient très bien écrites, très réalistes, et Tillieux y ajoutait une drôlerie incroyable. Ce qui est remarquable, c’est que chaque personnage a son humour. Gil Jourdan est très british, Libellule aime le gros rire bien gras, Croûton pratique l’humour involontaire et les mauvais l’humour du crétin fini ou désabusé. Aucun personnage n’a le même humour que l’autre : c’est remarquable. C’est dommage que le dessin ait été massacré par la couleur à l’époque (elles étaient atroces), mais malgré ça, les ambiances étaient incroyables : Paris sous la pluie, avec les pavés mouillés, ou les petits villages bretons noyés sous le crachin. C’était magnifique. Il n’avait pas le génie de Franquin, mais c’était un excellent dessinateur. ”
Vous allez aussi sortir en septembre un recueil d’inédits.
“C’est BD Must qui s’amuse à retrouver des inédits en albums, publiés dans le Journal Tintin. Rien que pour Tibet ils ont l’équivalent de 40 albums. C’était un bosseur incroyable. En une carrière, c’est incroyable ce qu’il a pu travailler. Pour moi, on a retrouvé la matière de deux albums, mais on n’en fera qu’un. Les toutes premières planches, dont les quatre présentées à Hergé, sur Le voleur supersonique, y figureront.”
Une belle manière de boucler la boucle.
Dany : “Je rêve qu’on reprenne Olivier Rameau”
Il aimerait que Zidrou et Curd Ridel prennent le relais de sa BD qui met l’humour, la fantaisie et la gentillesse à l’honneur.
À 80 ans, Dany croule toujours sous les projets de bandes dessinées. À commencer par une treizième aventure de son héros emblématique, Olivier Rameau.
“Cela s’appellera Le pays des 1 001 ennuis, lâche-t-il, toujours souriant. L‘histoire est écrite et va confronter Rêverose au pays des 1 001 nuits. Je me charge du scénario. Je l’avais déjà fait pour un recueil d’histoires complètes et un autre album, commencé par Greg : il avait fait six pages et, comme d’habitude, il ne m’avait pas raconté la fin ! Je ne savais donc pas du tout où on allait. J’ai même fait une sorte de prégénérique puis j’ai inventé le reste, en espérant que là où il est, Greg me pardonnera. Pour Olivier Rameau, il m’a toujours laissé énormément de liberté d’interprétation. Par exemple, il me disait : là, il y a deux pages de bagarres, vous faites ce que vous voulez. Je me suis tellement approprié cette série que je l’ai fait mienne. Je suis chez moi chez Olivier Rameau. Je n’en ai pas fait beaucoup, mais c’est un univers que j’ai dans la main. Je ne dois jamais rouvrir un album pour voir comment tel personnage secondaire est habillé. C’est chez moi, c’est mon univers, c’est ce que je fais non pas le plus facilement, parce que rien n’est facile, mais qui m’est le plus naturel.”
Comment expliquez-vous son succès ? Par la gentillesse, qui manque tellement ?
“C’est le but recherché : montrer qu’on peut faire quelque chose de passionnant sans meurtre, sans atrocités ou des méchants. Dans Olivier Rameau, rien ne fait peur, tout est pour rire. C’est une sorte d’optimisme délirant que j’essaie de communiquer. Greg y était très attentif. Il fallait tout le temps faire rêver. Et quand une page ou l’autre était trop banale, il me rappelait à l’ordre en me montrant des pages faites avant. Ce sont des leçons que j’ai retenues. Cela fait un bien fou. Surtout à l’époque où on vit. Mais toutes les époques sont trop sérieuses, trop tristes. Flippantes mêmes. Tous ceux qui veulent tout réécrire, tout interdire, supprimer tout ce qui est humour – on ne peut plus rire de rien, ils ne doivent pas aimer Olivier Rameau, parce qu’il est la preuve qu’on peut rire de tout avec gentillesse, sans méchanceté.”
Comment ont réagi les lecteurs du Journal Tintin en découvrant Olivier Rameau ?
“La différence a plu. Dans le premier référendum, sur 36 séries, j’ai occupé la troisième place. Greg n’en revenait pas, c’était extraordinaire. Malheureusement, par la suite, je n’ai jamais été premier : deuxième, quatrième, douzième, jamais premier. C’est un peu dommage. Peut-être que si j’avais fait plus d’albums, j’aurais eu une chance”
Comment avez-vous trouvé la reprise d’Olivier Rameau par Grenson pour le journal anniversaire ?
“Je n’ai pas voulu voir les planches à l’avance. Je vais découvrir ça au moment de la sortie. C’est un ami, donc je suis heureux qu’il reprenne Olivier Rameau. Il a une fibre poétique sans doute supérieure à la mienne. Quand il s’y met, c’est de la vraie poésie, alors que moi, c’est de la fantaisie. Je suis certain qu’il a fait quelque chose de bien même si je m’attends à une petite critique, parce qu’on s’amuse à s’égratigner un peu (rire).”
Est-ce vrai que Zidrou vous a proposé un projet de quatorzième aventure d’Olivier Rameau ?
“C’est moi qui lui ai proposé. Olivier Rameau est publié chez Kennes pour le moment, mais Kennes est en train d’abandonner un peu la BD pour diverses raisons. Je ne suis donc pas certain que c’est là que ce sera publié. C’est à Kennes de décider. On voulait relancer Olivier Rameau : faire le mien et, en même temps, un autre, avec une autre équipe : Zidrou et Curd Ridel au dessin. Je ne sais pas pourquoi, mais cela n’a pas fonctionné. Moi, je les aime bien tous les deux. J’ai même été voir Zidrou en Andalousie. Sa reprise de Ric Hochet est d’une intelligence remarquable. Sans copier Rick Hochet. Van Liemt n’a pas essayé de copier Tibet, et c’est très bien sinon cela aurait été du sous-Tibet. Ils ont eu l’intelligence, peut-être en suivant l’exemple de Blake et Mortimer, de le placer dans les années 60 et pas dans l’époque actuelle, avec les portables ou les ordinateurs.”
Ce quatorzième album se fera ?
“Cela peut évoluer. J’ai plusieurs projets sur le feu, en espérant avoir le temps de tout faire, mais j’aimerais bien. Contrairement à certains auteurs, je ne demande qu’une chose, c’est que quelqu’un reprenne Olivier Rameau. Je le dis très clairement. J’aimerais bien que ce soit Zidrou. Il peut trouver des dessinateurs, s’ils ne veulent pas Curd Ridel, qui est très bon pourtant et un admirateur de l’univers d’Olivier Rameau. J’aimerais bien que ce soit Curd.”
Pourquoi voulez-vous qu’on poursuive Olivier Rameau plus tard ?
“Je ne veux pas, je dis que je suis d’accord. Je n’exige pas. Je ne suis pas en train de constituer une équipe, mais je serais content si ça continuait, surtout avec Zidrou.”
Vous allez sortir une aventure de Spirou, Spirou et la gorgone…
“C’est un ‘Spirou fait par…’. Ce n’est pas la série même. Cela m’a été proposé voici huit ans. J’ai accepté tout de suite : c’est un retour aux sources qui m’ont donné envie de faire de la BD. À l’époque, j’étais sur les Guerrières de Troy. J’ai fait Ludivine, cela a pris du temps, Yann a été malade, puis on s’est disputé avant de redevenir les meilleurs amis du monde : on a les mêmes références, on peut parler de culture et de cinéma, on s’entend très bien et j’aime beaucoup son écriture un peu iconoclaste. On a été un peu édulcoré. Il avait imaginé un produit inventé par Champignac pour gagner de l’argent et financer les guerrières. Le produit s’appelait le Viagnac, un produit qui redonne de la vigueur aux messieurs fatigués… Ils ont eu peur chez Dupuis et l’ont appelé le Boustignac. On a peur de tout maintenant. On anticipe d’éventuelles réactions. On ne fait plus rien parce qu’il pourrait y avoir des réactions. Et surtout, on ne peut plus rire.”
Quand vous dessinez Spirou, vous pensez à Franquin ?
“Sans arrêt. J’espère qu’il aurait été d’accord. J’ai gardé des félicitations de Franquin, donc je sais qu’il aimait bien ce que je faisais. C’est précieux : elles sont encadrées. Et j’en ai fait une copie. Elles sont bien protégées. La sortie d’un Spirou, c’est très important, et les 77 ans de Tintin aussi. Le mois de septembre va être chargé.”
Aucun de ses fans ne s’en plaindra.
“Tibet a déjà tout fait”
Pour le numéro Collector de Tintin, Dany a rendu hommage à Hergé, tout en se glissant lui-même dans l’aventure. Une vieille habitude : Olivier Rameau lui ressemblait aussi… “Oui, mais cela a bien changé, explique-t-il en riant. Je m’habillais comme ça, sauf le canotier, évidemment. Colombe, c’est ma femme, c’est clair. Tout le monde l’a remarqué. C’est peut-être dû à un manque d’imagination, je n’en sais rien. On était quelques auteurs à se dessiner… Jonathan, c’était Cosey jeune. Et Buddy Longway avait les traits de Derib. Et je l’ai refait pour le numéro spécial pour les 77 ans, mais de dos et à contre-jour, pour qu’on ne voie pas ma calvitie (rire). J’ai essayé de faire un véritable hommage à Tibet et Ric Hochet, tout en étant un peu impertinent, un peu comique. Par exemple, en me moquant de sa Porsche jaune et de ses vestons mouchetés. J’ai été un des premiers à qui Le Lombard a parlé de ce numéro anniversaire. Tout de suite, j’ai pris Ric Hochet. C’était une évidence. Il a toujours été d’une générosité incroyable. Une soirée avec Tibet était une soirée réussie, où on savait qu’on allait s’amuser. Il avait un humour exceptionnel. J’ai aussi rendu hommage à Edgar P. Jacobs, mais je me suis gouré. J’étais persuadé que Tibet n’avait jamais imaginé cette planche : eh bien si ! Dans une histoire parodique.. Moi aussi, j’ai parodié deux planches du Secret de l’Espadon. Edgar P. Jacobs, qui était d’une gentillesse incroyable, m’a dit qu’il aurait dû dessiner comme ça. Vous vous rendez compte ?”
Son coup de chapeau à ces deux maîtres n’a pourtant pas été aussi évident qu’il pourrait y paraître.
“En 70 albums, Tibet et Duchâteau ont tout fait. Au départ, j’avais l’idée d’un double de Ric Hochet qui essaie de lui nuire en faisant de mauvaise action. Mais on m’a dit qu’il l’avait déjà fait. Je pars sur une autre idée : ça existait déjà aussi. Mon ami Félix Meynet m’a donné l’idée d’imaginer des choses qui avaient déjà été faites. Cela permet de balayer sept ou huit albums, qui sont remarquables d’imagination. Je n’ai pas copié Tibet (sauf pour une case où il se fait flinguer par un extraterrestre : c’était trop drôle), mais on reconnaît Ric Hochet. Je ne voulais pas d’une caricature.”
Le résultat est délicieux. Et donne envie de repartir à l’aventure dans les planches de Tibet.