50 ans du coup d’État au Chili : douze jours après l’arrivée de Pinochet, Pablo Neruda décède à l’hôpital
“Que s’est-il passé dans la chambre 406 de la clinique Santa Maria le 23 septembre 1973?” se demande la journaliste d’investigation Laurie Fachaux-Cygan. Un récit rédigé comme un polar, “où rien n’a été inventé, tout a été vérifié”.
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- Publié le 11-09-2023 à 09h40
- Mis à jour le 20-09-2023 à 17h10
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Le 11 septembre 1973, le socialiste Salvador Allende, élu démocratiquement président du Chili trois ans plus tôt, se suicide alors que le Palais de la Moneda est pris d’assaut par des putschistes à la tête desquels se trouve le général Pinochet. Douze jours plus tard, Pablo Neruda, poète chilien, prix Nobel de littérature en 1971 et communiste engagé décède. Mort naturelle? Empoisonnement (et donc assassinat)? “Que s’est-il passé dans la chambre 406 de la clinique Santa Maria le 23 septembre 1973?” Cette question, Laurie Fachaux-Cygan la reproduit, telle une antienne, à de nombreuses reprises dans le livre qu’elle vient de publier, Chambre 406. L’affaire Pablo Neruda.
Violation des droits humains entre 1973 et 1990
Journaliste d’investigation, la Française a vécu au Chili où elle s’est intéressée aux héritages de la dictature (1973-1990) et aux violations des droits humains commises durant cette période.
Alors qu’on la joint par téléphone, on est frappé par son débit rapide. Passionnée par son sujet, Laurie Fachaux-Cygan donne l’impression de vouloir dire le plus en un minimum de temps. Cela fait 10 ans qu’elle suit l'affaire Pablo Neruda. Le 8 avril 2013, les restes du poète chilien sont exhumés. Car, en 2011, le chauffeur de Neruda, Manuel Araya, était parvenu à convaincre le parti communiste de déposer une plainte criminelle. Depuis qu’il l’a vu très mal en point sur son lit d’hôpital, il est convaincu que Neruda a été assassiné.
Rien n’a été inventé, tout a été vérifié.
Il s’en est passé des choses entre 2013 et 2023. Laurie Fachaux-Cygan le traduit bien dans son livre qu’elle a rédigé, confie-t-elle, comme un polar. “Rien n’a été inventé, tout a été vérifié”, précise la journaliste. On aurait voulu inventer une histoire pareille qu’on n’y serait pas arrivé, ose-t-on commenter.
Où en est-on finalement en ce début septembre 2023? “Pour l’instant, aucun verdict n’a été rendu. Le 15 février 2023, la juge Paola Plaza (qui a repris l’enquête de Mario Carroza, entre-temps nommé juge à la Cour suprême) a reçu les conclusions du quatrième panel d’experts et d’expertes”, répond notre interlocutrice.
Faux en écriture, témoignages qui ne concordent pas
Officiellement, Neruda est mort “des suites d’un cancer de la prostate”. Mais des faux en écriture (certificat de décès falsifié), des témoignages qui ne concordent pas, des bactéries suspectes viennent semer le trouble.
Dans le quatrième panel, on retrouve des membres du laboratoire canadien de l’université de McMaster. “Qui non seulement a découvert dans une molaire de Pablo Neruda la bactérie clostridium botulinum, mais est également parvenu à reconstruire un tiers de son génome”, relève la journaliste. Une bactérie éminemment létale. Mais comment a-t-elle atterri dans le corps du poète?
Si, d’experts en experts, les conclusions se précisent, c’est notamment parce que les labos ne sont pas équipés de la même façon, et aussi que la science progresse. Le Canadien utilise ainsi une technique de séquençage de nouvelle génération (”next generation sequencing”) que seulement quatre ou cinq lieux de recherche possèdent.
Si j’ai tenu à décrire ces tortures, ce n’est pas pour être morbide ou sensationnaliste, mais pour représenter ce qui se cache derrière le mot ‘torture’.
Certains passages de Chambre 406. L’affaire Pablo Neruda sont effroyables, insoutenables. Ce n’est pas par hasard que l’autrice cite, en incipit de son livre: “Le sadisme n’est ni une idéologie politique, ni une stratégie de guerre, mais une perversion morale”. Une phrase qu’elle a puisée dans le réquisitoire du juge Julio César Strassera, repris in extenso dans le film Argentine 1985 réalisé par Santiago Mitre avec Ricardo Darín.
“Si j’ai tenu à décrire ces tortures, ce n’est pas pour être morbide ou sensationnaliste, mais pour représenter ce qui se cache derrière le mot ‘torture’. Pour certains, cela peut être abstrait. Tout ce que je décris provient des témoignages des commissions.”
2041 affaires en cours
Alors que le livre porte principalement sur Pablo Neruda, il est une chambre d’écho pour toutes les autres familles qui sont aussi en attente de justice. “La devise de l’actuel président chilien Gabriel Boric et de son gouvernement pour la commémoration tient en ces mots: ‘La démocratie, c’est la mémoire et le futur’”, rappelle Laurie Fachaux-Cygan.
La journaliste insiste aussi sur la volonté des juges de régler les affaires rapidement. Le temps presse – on parle de faits qui se sont passés il y a 50 ans. Les personnes qui pourraient potentiellement être mises en examen ou condamnées sont âgées. “Les juges que je connais travaillent énormément. Ils ont de grosses équipes. Paola Plaza a, par exemple, une centaine d’affaires à traiter. Ils sont mus par la volonté d’apporter la vérité aux familles.”
À ce jour, Laurie Fachaux-Cygan rappelle que 2041 affaires sont encore en cours. “Par affaire, j’entends toutes les affaires des droits humains commises sous Pinochet entre 1973 et 1990.” Et 1162 corps n’ont pas encore été retrouvés.
⇒ Chambre 406. L’affaire Pablo Neruda | Enquête | Laurie Fachaux-Cygan | Éditions de l’Atelier, 288 pp. + cahier photo | 20 €, numérique 15 €