Soutenir le peuple iranien en célébrant la voix poétique des femmes
Un chant de résistance au programme d'une soirée à Bozar et d'une anthologie, fruit d'un travail éditorial inédit.
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- Publié le 13-09-2023 à 13h08
- Mis à jour le 13-09-2023 à 13h25
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Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini, jeune Kurde iranienne de 22 ans, mourait trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour non-respect de la stricte tenue vestimentaire islamique. Les manifestations et le mouvement de contestation qui ont suivi n'ont, depuis, cessé de secouer le régime en place. Un an après cette mort tragique, une soirée célébrant la poésie persane se tiendra ce 15 septembre à Bozar, en guise de soutien symbolique au peuple iranien, et en présence des poétesses Somaia Ramish et Mahtab Ghorbani. C'est un travail éditorial inédit qui servira de pivot à cet événement: la parution de Souviens-toi de l'envol, une anthologie regroupant les grandes voix féminines de la poésie persanophone à paraître en octobre aux éditions Maelström. Sept années de travail ont été nécessaires à Franck Merger et Niloufar Sadighi pour parfaire ce volume.
Faire connaître le travail de poétesses peu traduites en français à ce jour, telle est l'ambition de ce duo. "Nous nous sommes appuyés sur le travail qui avait été fait par les Anglo-Saxons ayant déjà publié des anthologies", nous explique Niloufar Sadighi. Constatant qu'il n'existait en français aucun parcours d'ensemble, "on était d'accord sur l'aspect historique du volume (partir du Moyen Âge jusqu'à aujourd'hui) et l'aspect transversal d'un point de vue géographique (englober le grand Iran, soit l'Iran et les régions persanophones alentour, ainsi que la diaspora). À partir de cette base, chacun a apporté sa pierre à l'édifice." Les choix se sont appuyés sur deux éléments : les noms incontournables (Forough Farrokhzâd et Simin Behbahâni notamment) et les coups de cœur. "Le corpus s'est constitué de manière organique. On voulait aussi un ensemble représentatif et équilibré au niveau du ton, avec de la gravité comme de la légèreté."
L'érotisme et le désir, sans détour
La couleur de Souviens-toi de l'envol tient essentiellement du chant de révolte. "Il y a une part qui est engagée, du côté de la liberté d'expression, des femmes, de leurs droits, surtout chez les Afghanes. Leur poésie dit toutes les souffrances, la torture, les privations de liberté qu'elles subissent, leur misère profonde sous le régime des Talibans. Ce qui m'a frappée, c'est la grande liberté d'expression, l'impertinence de ces femmes qui osent parler de tout, y compris les sujets sexuels. Dès l'époque médiévale, elles se moquent notamment des vieux maris impuissants auxquels elles sont unies de force. Et parlent sans détour de leur désir pour les plus jeunes, du désir féminin, avec beaucoup d'audace et de liberté." Mais le recueil parle aussi de joie ou de contemplation de la nature. "Celle-ci est exprimée par les poétesses de la diaspora, qui souffrent de l'exil tout en gardant leur sens de l'humour, leur émerveillement, le goût du voyage, de la liberté, leur désir de vivre où qu'elles soient."
charge tes poèmes
ton corps
tes pensées
de poudre à canon
l’école de la guerre s’élève en toi
le prochain c’est peut-être toi !
Ce corpus qui remonte au Moyen Âge laisse transparaître que la poésie de ces quarante dernières années est de plus en plus engagée. "Depuis l'arrivée au pouvoir du régime actuel, la condition des femmes est de lutter, de grignoter des libertés. La question du voile en est le symbole le plus visible. La manière dont il est porté par les femmes symbolise le niveau de tension de la société sur les questions de liberté. Les femmes sont à l'avant-garde des combats et cela se voit dans leurs tenues, leurs écrits, ce qu'elles osent dire sur les réseaux sociaux notamment." Ce, dans un pays où les femmes sont très éduquées. "Une chose que ce régime n'a pas détruite, c'est l'accès à l'éducation et à l'enseignement supérieur. Je pense qu'à l'université, 60 % des étudiants sont des étudiantes. Elles obtiennent de hauts diplômes. Et forcément, ce niveau d'éducation s'accompagne de revendications. Elles s'expriment, parlent, écrivent, publient, ayant plus à gagner dans ces combats que les hommes."
Notons encore que l'Iran a ceci de particulier : il est, à la connaissance de Niloufar Sadighi, "le seul pays au monde qui ait un rapport intime, simple, quotidien à la poésie. Tout le monde, jusqu'au coiffeur ou au cordonnier, connaît des vers par cœur. C'est une façon de vivre, d'intégrer, de supporter les maux du quotidien. Le rapport à la poésie est à la fois spirituel, charnel et divinatoire : la poésie donne des réponses. Les Iraniens décryptent sans cesse des poèmes pour analyser leur présent et prédire leur avenir."
-> Infos: www.bozar.be
-> "Souviens-toi de l'envol. Voix féminines de la poésie persanophone", choix des textes et traduction de Franck Merger et Niloufar Sadighi, Maelström, 284 pp., 18 €, en librairie le 12 octobre