"La poésie doit nous guérir de quelque chose”
Du 22 au 24 septembre, le Poetik Bazar, marché bilingue de la poésie qui se double d’un festival, se tiendra aux Halles de Schaerbeek. Avec un focus sur la poésie québécoise.
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- Publié le 17-09-2023 à 13h51
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La troisième édition du Poetik Bazar, marché de la poésie de Bruxelles réunissant les francophones et les néerlandophones, se tiendra du 22 au 24 septembre prochains. Cet événement unique en son genre – un festival multilingue s’y greffe à un marché traditionnel – sera accueilli cette année par les Halles de Schaerbeek, qui coproduisent ce rendez-vous porté par un collectif d’ASBL*. Mélanie Godin, directrice des Midis de la poésie, insiste sur le fait que la poésie doit ici être considérée “au sens large, dans une vision pluridisciplinaire qui englobe l’illustration, la performance, le thé dansant…” Le temps d’un week-end, le public sera donc invité à découvrir la vitalité de la scène poétique contemporaine. Au total, 105 acteurs (maisons d’édition, revues, écoles…) seront représentés, et 120 artistes participeront à 90 activités pensées pour tous les âges et pour tous les goûts.
Un Québec décomplexé
Cette année, c’est le Québec qui sera mis à l’honneur, avec une délégation de dix poètes et seize maisons présentes ou représentées. En présoirée d’ouverture, Poetik Quebec accueillera ainsi Rita Mestokosho, Carole David, Emilie Turmel, Anne-Marie Desmeules, Martine Audet et Marisol Drouin pour un moment de poésie engagée et multiculturelle (le 21/9 à 19h, à la Maison Poème – gratuit, réservation souhaitée). Pour Rodney Saint-Éloi, fondateur de la maison d’édition Mémoire d’Encrier, la poésie québécoise “apporte un nouveau souffle, un nouveau regard. Aujourd’hui, seule la poésie semble à même de renouveler la pensée humaine, de viser l’absolu”. Dans le sillage de Gaston Miron et de son Homme empaillé, “la poésie québécoise rêve de voir advenir une humanité plus assumée, un Québec décomplexé qui ne soit plus le petit frère des Français”.
L’éditeur ajoute qu’il y a aussi au Québec “une vision poétique très engagée vers l’étonnement”. La preuve en est le succès de La femme cent couleurs, recueil de Lorrie Jean-Louis paru en 2020 qui s’est vendu à plus de 7000 exemplaires. “Accueillir ainsi le livre d’une jeune autrice racisée et lui décerner le prix des libraires en poésie, cela signifie beaucoup dans un pays où le racisme et l’exclusion existent, où la politique ne parvient pas à résoudre le vivre-ensemble : c’est donc un exemple de réussite, une espèce d’illumination. La poésie est un lieu d’accueil.”
Une histoire qui n’a jamais été racontée
Un autre motif de fierté pour Rodney Saint-Éloi est de voir publiés les poètes autochtones. “C’est un champ littéraire autonome. Chez Mémoire d’Encrier, nous sommes les premiers à considérer la littérature autochtone comme une vraie littérature. Au Québec, les autochtones vivent dans des réserves, séparés du reste de la société. Dans les trajectoires de Joséphine Bacon ou de Rita Mestokosho, il y a quelque chose de l’ordre du surgissement : ce que la société ne peut pas faire, c’est-à-dire créer un vivre-ensemble avec eux, l’espace littéraire le permet.” Pour l’éditeur né en Haïti, donc étranger à “l’Histoire qui a agenouillé les autochtones”, ceci correspond à “un éveil national. C’est plus que de la poésie. Lire Joséphine Bacon, c’est lire une histoire qui n’a jamais été racontée. On répare une injustice humaine. La poésie doit nous guérir de quelque chose, et le Québec est en train de guérir avec Rita Mestokosho et Joséphine Bacon. Lire leur poésie est un devoir de citoyen, c’est aller vers une forme d’altérité, dire qu’un nouveau monde est possible”.
Comme a pu le constater Ariane Herman, cofondatrice de la librairie bruxelloise Tulitu qui entretient des liens étroits avec le Québec, “la poésie y a plus d’importance que chez nous. Les librairies québécoises ont d’ailleurs toutes un rayon poésie, c’est une partie de leur culture. Ils publient beaucoup, et de qualité. C’est aussi une question de survie et de défense de la langue, dans un milieu anglophone”.
Antenne des éditions québécoises La Peuplade en Europe, Julien Delorme constate pour sa part “une tradition poétique très dynamique, qui a su se renouveler au fil du temps”. La poésie est “redevenue très populaire au Québec, avec des rencontres poétiques qui drainent beaucoup de monde, dans l’ambiance parfois très festive de bars ou de salles de concert”.
Un attachement à l’oralité
Si historiquement, “on a toujours eu une tradition poétique québécoise de la langue, de l’écriture, avec des périodes formalistes, la nouvelle génération propose quelque chose de très fort au niveau de l’oralité de la langue, qui est au cœur du texte, avec du slam ou des formes intermédiaires entre slam et poésie”, précise Julien Delorme. Il est d’ailleurs important à ses yeux de comprendre et de rappeler “que le système éducatif n’a couvert le territoire que depuis les années 1980. Le Québec est donc un endroit où on compte beaucoup de ce qu’on appelle des analphabètes fonctionnels, pour lesquels une grande partie de la culture passe par l’oralité”.
Depuis que La Peuplade a commencé, il y a six ans, à diffuser ses livres en France et en Belgique, Julien Delorme observe une progression des ventes de poésie québécoise. Des liens entre poètes d’ici et de là-bas se tissent aussi. Et il se félicite de l’inscription de la poétesse québécoise Hélène Dorion au programme du baccalauréat en France. “C’est une validation académique puissante, qui permet une revivification de la langue. Et je pense que c’est ce qui frappe les lecteurs français : un registre très oral, qui touche les gens dans leur quotidien. Sans oublier la part exotique de la langue, le côté imagé des expressions québécoises. Ce jeu entre très grande familiarité et exotisme plaît beaucoup.”
Demandez le programme
Lectures, cartes blanches, ateliers d’écriture, animations scolaires, rencontres avec des auteurs, performances, balades poétiques, thé dansant, rencontres professionnelles… Parmi cette programmation riche et variée, épinglons cinq rendez-vous à ne pas manquer.
- Dans le cadre du Cassandra Festival, qui accompagne la création inaugurale de sa saison, La Monnaie accueille les Midis de la poésie le 19/9 à 12h40. Deux Cassandres contemporaines en seront les invitées : les poétesses innues Rita Mestokosho et Maya Cousineau Mollen (réservation : www.lamonnaiedemunt.be).
- Soirée d’ouverture multilingue en collaboration avec Passa Porta, Opening night (le 22/9 à 20h) réunira Tanella Boni, Susinukke Kosola, Diana Anphimiadi, Sara Eelen, Simone Atangana Bekono, Guy Goffette, Doina Ioanid et Maya Cousineau Mollen (gratuit, réservation souhaitée).
- Poétesses gang se déclinera en un atelier sur les poésies féministes (22/09), un podcast en live (24/09), une rencontre et une performance autour de la poésie multilingue (23/09).
- Orchestré par le collectif Speakeasy, Open mic (23/9 à 21h) est une scène ouverte à toutes les langues et toutes les expériences, où chacun pourra faire entendre sa voix.
- Un Tea party avec Dj set (24/09 dès 17h30) permettra de vibrer au rythme des sonorités éclectiques de Rokia Bamba, qui animera la soirée de clôture.
-- > Infos : www.poetikbazar.be
* Le collectif réunit Les Midis de la poésie, Poëziecentrum, les Halles de Schaerbeek, la Foire du livre de Bruxelles, les Éditeurs singuliers, maelstrÖm reEvolution, la Maison de la poésie d’Amay et VONK&Zonen. Avec la participation de Passa Porta, la Maison de la poésie de Namur, le Marché de la poésie de Paris.