Le prix Première décerné à Anthony Passeron pour "Les enfants endormis"
Le romancier niçois a été choisi par un jury de dix auditeurs de la Première
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Publié le 30-03-2023 à 14h00
Dix auditeurs (cette année, six femmes et quatre homme) choisis sur lettre de motivaion ont décerné jeudi le prix Première à Anthony Passeron pour Les enfants endormis. Dans ce premier roman paru en août, l’auteur, qui est professeur d’histoire-géo à Nice, retrace l’histoire de son oncle Désiré, emporté par le sida dans les années 90. Parallèlement à une histoire intime racontée avec une infinie délicatesse qui donne voix à la détresse, au chagrin, à la honte, à la solitude qui ont tant pesé sur cette famille, nous est retracée la bataille des scientifiques pour cerner puis lutter contre le sida, maladie alors inconnue.
Vous l’écrivez dans le prologue: vous avez écrit ce livre pour briser le silence.
Il y a pas mal de livres écrits sur le sida, mais le malade du sida y apparaît en intellectuel parisien racontant sa maladie à la première personne. J’ai donc voulu dire le sida de la classe moyenne et de la France périphérique. Ce qui m’intéressait surtout était d’écrire un livre sur la manière dont le sida vient percuter une famille dans ses lieux d’affection et ses zones de tension.
Comment le livre a-t-il été reçu par votre famille?
Pour habiter Nice, je ne suis parti qu’à 65 km du village. Pour moi, la toxicomanie et le sida ne sont plus des questions morales. Or au village, cela le demeure, et une partie de la famille est encore très mal à l’aise. Aujourd’hui, les gens du village me parlent de mon oncle comme quelqu’un de malheureux qui a fait de mauvaises expériences, ils ne le jugent plus. Alors qu’au sein de ma famille, on considère toujours qu’il ne faut pas dire que mon oncle était toxicomane. Pour une part d’entre eux, on est toujours en 1984. Je ne l’avais pas anticipé.
Parler d’arrière-pays n’est peut-être pas anodin...
Les gens de l’arrière-pays ne supportent pas qu’on les considère comme des arriérés, ce qu’ils ne sont pas. Pourtant, dans certains domaines, ils le restent de manière objective. Je suis obsédé par la géographie, mon intention était donc de témoigner de ce que c’était de vivre le sida dans un village. Cette histoire est éminemment romanesque.
D’autant que pour votre grand-mère, immigrée italienne, le chemin parcouru était tel qu’elle n’était pas prête à renoncer à ce qu’elle avait conquis.
J’entendais souvent ma mère dire: elle oublie d’où elle vient. Ma grand-mère est le personnage du livre pour lequel j’ai davantage travaillé la trajectoire personnelle, car c’est ce qui fait qu’elle ne peut pas assumer la situation de Désiré. En même temps, elle a le sens de la famille, elle n’abandonne pas ses enfants. On a souvent dit qu’elle était une femme forte. Or les femmes fortes révèlent le désengagement des hommes: elles sont fortes parce qu’elles ont traversé des épreuves fortes. Même si la boucherie était un métier difficile, mon grand-père préférait s’occuper de la viande que d’un enfant séropositif. Les hommes de ma famille se sont toujours enferrés dans le travail, laissant les femmes en première ligne.
Votre intention, écrivez-vous, était de montrer que la vie de Désiré s’était inscrite dans le chaos du monde. Les mots sont-ils là pour remettre les choses à leur juste place?
Les mots viennent surtout sur un rien, parce qu’il n’y avait aucun discours sur cette histoire. On avait l’impression que la maladie était une fatalité divine. Quand à 7-8 ans, on vous dit: ton oncle est mort parce qu’il a fait des bêtises, c’est compliqué ensuite de se construire! Désiré avait les cheveux longs, fauchait dans la caisse pour s’acheter des costumes, roulait en BMW alors qu’au village il ne fallait pas fanfaronner... Le livre est une tentative de montrer que des circonstances évidentes ont mené à la catastrophe. Il me semble avoir veillé à raconter l’histoire de la manière la plus objective possible, même si j’ai dû faire des choix narratifs.
Parallèlement, vous décrivez le travail des scientifiques confrontés à un virus mystérieux.
Cette histoire est peu connue du grand public, et il m’a semblé intéressant qu’elle mette en parallèle des courages, des hontes, de la ténacité. Et, finalement, elle renvoie à une même solitude.
Cette partie a dû vous permettre de prendre du recul par rapport à la charge émotionnelle du vécu familial. Avez-vous travaillé en parallèle ?
Pendant longtemps, j’ai su que j’aller raconter l’histoire de ma famille, mais je ne trouvais pas l’axe du récit. Alors je me documentais sur le VIH, ce qui me permettait de trouver des réponses à des questions que je me posais depuis l’enfance. Le livre a commencé quand je me suis dit: il faut raconter les deux histoires. Avant cela, je ne me suis pas lancé. C’est cette idée qui m’a autorisée à écrire.
-> Anthony Passeron | Les enfants endormis | roman | Globe | 278 pp., 20 €, version numérique 15 €