Le prix des Lycéens à Vinciane Moeschler
L'autrice reçoit le Prix des lycéens de Littérature 2023 de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour son roman Alice et les autres, paru en 2021 au Mercure de France.
Publié le 28-04-2023 à 11h00 - Mis à jour le 28-04-2023 à 11h32
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Récompense très encourageante pour Vinciane Moeschler qui vient de recevoir le Prix des Lycéens de Littérature 2023 de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour son roman Alice et les autres, paru en 2021 au Mercure de France. L’autrice est également lauréate des Prix des délégués de classe et Prix Mots des Maux 2023 de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Un prix qui vient à point nommé à l'heure où son nouveau roman, Accordez-moi la parole, intense, percutant et pertinent, rencontre déjà un beau succès. Nous y reviendrons prochainement dans Arts Libre.
Etre élu par les jeunes est toujours considéré comme une très belle reconnaissance par les auteurs et les autrices qui savent à quel point ces lecteurs et lectrices-là ont leurs exigences.
Cinq romans étaient en lice. Les élèves ont relevé l’originalité du thème abordé par Vinciane Moeschler, l’héroïne du roman étant atteinte d’un trouble dissociatif de l’identité. “Procédant par dévoilement progressif, le roman multiplie les points de vue pour tenter de résoudre l’énigme qu’est Alice, y compris pour elle-même”, déclare le jury dans un communiqué. “Malgré la complexité de son sujet et sa construction éclatée, jamais nous ne nous perdons dans le labyrinthe du roman. Vinciane Moeschler nous guide d’une main de maître, au moyen d’un langage rythmé, direct, toujours accessible sans jamais être simpliste.”
Notre critique

Roman choral, Alice et les autres avait déjà retenu notre attention. "Quel fil suivre ? écrivions-nous à l'époque. Celui d’Alice, la petite fille apeurée, qui a dû grandir sans mère, qui connaît la première faille, à quinze ans, à la venue du printemps, sur le chemin du collège, lorsqu’elle ferme les paupières, chasse une abeille pressée de butiner et s’éveille, une main sur l’épaule ? Celui de la même Alice, fillette, à l’Unité psychiatrique de la Clinique Saint-Charles, qui sait qu’on ne fait pas pipi au lit à 7 ans et se récure jusqu’à saigner entre les jambes ? Ou celui de Madame Morin, à Coroy, dans les Ardennes, au mari attentionné, qui a pu arrêter de travailler pour s’occuper de ses enfants, collectionner les poupées, vaquer à ses occupations et oublier le vide de ses journées au point de mentir le soir pour cacher ses pertes de mémoire? A moins de se laisser entraîner dans l’atmosphère moite du bar glauque de Betty, qui respire la détresse des hommes vieillissants, l’odeur du mâle solitaire et de la friture, pour un tour de passe, après une gorgée d’alcool trop fort. Il reste encore Emile, croisé, lui aussi, à la Clinique Saint-Charles et qui, à bientôt septante ans, veut qu’on lui foute la paix, s’insurge contre cette “saloperie de piaule” refuse de prendre ses médicaments… Ancien mineur dont chaque pore transpire le charbon, il jure, peste, exige le respect, minimise.… La petite, s’il n’avait été là, qui s’en serait occupé ? Sa mère morte ? Sa grand-mère malade ?
Soutenue par l'écriture concise, musicale, imagée et par une succession de phrases courtes, cette plongée dans les abîmes de la pensée humaine et le pouvoir de l'inconscient dénonce surtout, entre les lignes, l'inacceptable.
“Je est un autre”
"On rencontrera aussi Jasmine, l’infirmière qui doute parfois de la sincérité de sa patiente, Alice. Toujours elle. Encore elle. Car si toutes ces personnes semblent déambuler et se croiser dans les couloirs de l’hôpital, elles s’entrechoquent surtout dans l’esprit confus de l’héroïne qui passe sans cesse de l’une à l’autre, entre rêveries, lucidités et incongruités. À la manière parfois de l’héroïne de Lewis Carroll, dans un récit choral qui mêle limpidité et ambiguïté. Ou de Norman Bates, la figure mythique de Psychose. Puisque “Je est un autre”, comme l’a écrit Rimbaud, cité en exergue du livre.
Un parcours semé d’embûches, mais calfeutré par une histoire d’amour, empreinte de vérité, qui se découvre au rythme des chapitres courts, cinglants parfois, troublants et de plus en plus poignants. Chaque nouvel indice remue les sables mouvants sur lesquels s’est construit le château de cartes d’Alice, petite fille victime d’un crime dont on ne meurt pas. En tout cas, pas tout de suite…
Le point de vue du mari
Pour ce ce neuvième ouvrage, la journaliste, romancière et dramaturge franco-suisse Vinciane Moeschler, qui vit à Bruxelles et y anime des ateliers d’écriture, principalement en instituts psychiatriques, semble s’être nourrie de sa pratique pour aborder les troubles de la personnalité avec maîtrise et sensibilité. Éclairante sans jamais être didactique ni pesante, l’auteure (prix Rossel 2019 pour Trois incendies) offre à vivre de l’intérieur un comportement plus proche du TDI (trouble dissociatif de l’identité) que de la schizophrénie dont l’étymologie grecque, “esprit divisé”, colle pourtant, selon le fascinant Docteur C, à la scission de la réalité de sa patiente.
Consacrée au point de vue du mari, la deuxième partie de Alice et les autres apporte aussi une lumière nouvelle sur l’emprise inéluctable de l’obscurité, des premiers vacillements, pourtant annonciateurs de jours pluvieux, au véritable coup de tonnerre. Elle emporte également par cet amour entier, altruiste, inaltérable, et plus fort encore dans l’adversité.
Soutenue par l’écriture concise, musicale, imagée et par une succession de phrases courtes, cette plongée dans les abysses de la pensée humaine et le pouvoir de l’inconscient dénonce surtout, entre les lignes, l’inacceptable. Et rend aux petites filles la pureté à laquelle elles ont droit, envers et contre tout.. Si Norman Bates, mythique figure de Psychose, n’est pas loin, c’est aussi une formidable histoire d’amour qui nous est contée ici."
Les 30 ans du Prix des lycéens
Le Prix des lycéens, dont on fête cette année les 30 ans, a rassemblé 2700 élèves de 5e et 6e secondaire, qui avaient pour mission de lire cinq romans belges d'expression française récemment parus, avant d'élire leur favori. Depuis le début de l'année scolaire, les analyses littéraires, les travaux créatifs, les débats entre élèves et les rencontres avec les auteurs et autrices se sont succédé, comme en témoigne le site du prix: www.prixdeslyceens.cfwb.be .