Au temps où Virgile «brusselait»
Les anciens s'en souviendront avec émotion et nostalgie. Les plus jeunes découvriront une personnalité comme seul le folklore belgo-bruxellois peut en générer. Un pei digne de Toone, la célébrité en moins. Car qui se souvient encore de Léon Crabbé, disparu en 1970 à l'âge de septante-deux ans?
Publié le 08-05-2005 à 00h00
Les anciens s'en souviendront avec émotion et nostalgie. Les plus jeunes découvriront une personnalité comme seul le folklore belgo-bruxellois peut en générer. Un pei digne de Toone, la célébrité en moins. Car qui se souvient encore de Léon Crabbé, disparu en 1970 à l'âge de septante-deux ans? Avouons-le: l'auteur de ces lignes n'en savait pas grand- chose.
Si Léon Crabbé ne dit rien, son pseudonyme, Virgile, éveille dejà un lointain souvenir. Georges Lebouc, grand spécialiste du parler bruxellois (on lui doit notamment un «Bruxellois en septante leçons», paru en 1999), est là pour entretenir son oeuvre. Avec les Éditions Racine, M. Lebouc a fait sortir Virgile du purgatoire en publiant successivement ses «Fables complètes» (2001), ses «Dialogues de la semaine» (2002-2003) et ses «Parodies» (2004). Aujourd'hui, Racine et Lebouc poursuivent leur travail d'hommage à Virgile en publiant «Théâtre»1.
Le coup de génie de cette édition est d'avoir convié Frédéric Jannin et Stephan Liberski à interpréter, sur CD, cinq adaptations de Virgile: «Le Cidke», «Horaceke», «Carmenneke», «Boubourochke» et «Cyranotje de Bergerakske». Une heure de dialogues, souvent jubilatoires, où les deux ex-Snuls donnent avec brio vie aux textes de Virgile.
«On connaissait bien quelques fables de Virgile, dont celles de Tich. Mais c'est tout», raconte Fred(je) Jannin. Mais Georges Lebouc fut à leurs côtés pour les coacher à travers des textes truffés de chausse-trappes. «Ce fut un exercice difficile mais très amusant. Pour l'anecdote, on a enregistré le CD à Liège...» Un comble pour une ode au bruxellois!
Auteur prolifique
En introduction de «Théâtre», Georges Lebouc rappelle le rôle que joua Virgile. Il écrivit pas moins de 300 spectacles joués dans les music-halls bruxellois de l'avant et de l'après-Seconde Guerre mondiale. Il écrivit aussi les textes de quelque 700 chansons (notamment interprétées par Maurice Chevalier). Il dialogua près de 500 sketches. «On se précipitait sur le Pourquoi Pas? pour lire ces sketches remarquablement dialogués», ajoute Georges Lebouc. Le défunt magazine continua à publier des «Dialogues de la semaine» jusqu'en 1988, soit dix-huit ans après la mort de Virgile, alias Léon Crabbé. Et le rédacteur en chef du «Pourquoi Pas?» veillait à répondre aux lettres de lecteurs adressés au même Virgile décédé...
La grande spécialité de Virgile fut de s'emparer de grandes oeuvres du repertoire («Faust», «Carmen», «Cyrano», «Le Cid», etc.) en plongeant les actions à Bruxelles et, de préférence, au sein du petit peuple bruxellois. Il prit aussi un malin plaisir, à travers ses adaptations à la fois très libres et savoureuses, de multiplier les références à l'actualité.
Ainsi, dans une première version du «Cid» (parue en 1940 dans «L'Almanach Slache»), Georges Lebouc rappelle que l'auteur s'en prit à la classe politique de l'avant-guerre, passant à la moulinette Pierlot et citant Camille Huysmans.
Alors, lancez le CD, prenez le livre en main (agrémenté de l'indispensable lexique!) et savourez!
1. «Théâtre», Virgile du «Pourquoi Pas?», présentation de Georges Lebouc, avec CD par Jannin et Liberski, 22,45 €.
© La Libre Belgique 2005