"Les Anonymes": enquête sous tension sur l’assassinat du préfet Erignac

Le 6 février 1998, le préfet Claude Erignac est abattu en pleine rue, à Ajaccio, alors qu’il se rend à un concert. Trois jours plus tard, un mystérieux commando surnommé Les Anonymes H H, revendique le crime. De part et d’autre de la Méditerranée, la stupeur est immense. Jamais jusqu’ici la cause corse ne s’en était prise à un représentant de l’Etat. Cette histoire est donc celle d’un traumatisme. Un coup de force qui a secoué un pays tout entier au départ d’une île qui voulait s’en tenir éloignée. Certains diront qu’ils ont voulu réitérer le coup d’éclat de la ferme d’Aleria en 1975, sauf qu’ici il n’y a pas eu de prise d’otage.

Karin Tshidimba

huis clos Le 6 février 1998, le préfet Claude Erignac est abattu en pleine rue, à Ajaccio, alors qu’il se rend à un concert. Trois jours plus tard, un mystérieux commando surnommé Les Anonymes H H, revendique le crime. De part et d’autre de la Méditerranée, la stupeur est immense. Jamais jusqu’ici la cause corse ne s’en était prise à un représentant de l’Etat. Cette histoire est donc celle d’un traumatisme. Un coup de force qui a secoué un pays tout entier au départ d’une île qui voulait s’en tenir éloignée. Certains diront qu’ils ont voulu réitérer le coup d’éclat de la ferme d’Aleria en 1975, sauf qu’ici il n’y a pas eu de prise d’otage.

Au-delà même de sa thématique, cette fiction nous arrive auréolée d’une solide réputation. D’une part, il s’agit d’un projet porté par Pierre Schoeller, auteur et réalisateur de l’excellent "Exercice de l’Etat" (2011). Ensuite, cette création aux ramifications troubles est soutenue par Canal+ qui s’est fait une spécialité, depuis quelques années, d’interroger les dessous du monde politique français avec des fictions sur Carlos, l’affaire Elf, etc. Autant d’éléments qui créent l’attente, sans même parler du casting : Olivier Gourmet, Mathieu Amalric et quelques nouvelles têtes corses à épingler

Pour coller de près à la vérité "sans basculer dans le film à thèse", Pierre Schoeller a tenu à tourner en Corse, sur les lieux mêmes où le drame s’est noué. "Certains disaient qu’il était trop tôt, que le souvenir était trop vivace, mais par souci de vérité, il fallait que cela se passe avec des acteurs corses." D’emblée, la fiction se mâtine de documentaire pour être "au plus près du réel".

Une fiction quasi documentaire

Le résultat, à l’écran, est tellement fort qu’on est pris par la tension et l’émotion du moment, comme s’il s’agissait d’une fiction dont on ignorerait l’issue. En même temps, les faits retracés sont tellement précis (avec recours systématique au compte-rendu d’audiences et aux PV des policiers pour bâtir les dialogues) que tous ceux qui ont eu à suivre l’affaire jureraient qu’il s’agit d’un documentaire.

Précise, fouillée, construite, cette fiction se démarque aussi par son type de narration. Sa méthode ? Plonger au cœur de la matière humaine, en saisissant à bras-le-corps le principal chapitre de l’affaire : les 96 heures de garde-à-vue au cours desquelles les flics de l’antiterrorisme vont peu à peu conduire l’ensemble du groupe à avouer son implication dans l’assassinat du préfet. Une mise sous tension impitoyable rendue de manière magistrale.

La fiction fait forcément l’impasse sur un certain nombre de faits : impossible de retracer quatre procès et deux ans d’enquête même en deux heures de récit. "Le plus important, pour nous, était de rendre compte de la dimension humaine, forcément complexe, de l’affaire." C’est l’autre grande force de ces "Anonymes" qui reviennent aux sources de l’engagement des militants mais pointent aussi leurs faiblesses, leurs doutes, sans omettre les conséquences de leur engagement dévoyé.

Ainsi, le film montre-t-il bien les dissensions apparues au sein du mouvement nationaliste corse et la volonté de certains de rompre non seulement avec les "dérives affairistes" du passé, mais aussi de revenir à un refus total de frayer avec l’Etat français. Pour autant, le recours à l’assassinat politique était une décision sans précédent. Un acte considéré comme une "dérive brigadiste" par certains au sein même du mouvement Malgré les zones d’ombre résiduelles, le film de Pierre Schoeller n’a pas oublié de mettre en évidence cette vérité-là.

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