"L’avis des Belges" : l’art de transformer les préoccupations citoyennes en spectacle
Publié le 21-03-2017 à 09h40 - Mis à jour le 21-03-2017 à 10h02
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Dimanche soir, la RTBF proposait L’avis des Belges. Toutes les semaines, à 17h45 sur La Une, des anonymes sciemment retenus pour "leur personnalité débordante" commentent désormais l’actualité pendant vingt-cinq minutes : Penelope gate, patrimoine, pollution, productivité au travail, épanouissement sexuel, port de signes religieux, inégalités salariales, concours Eurovision de la chanson…
Seuls quatre vingt huit mille téléspectateurs (soit 8,3 % de parts de marché) ont prêté attention aux cancans de Janine et sa belle-fille, Martine. Rebaptisées "poulette" et "titine", les deux éleveuses de volailles - filmées face caméra, tricots à la main - ont ainsi joué des coudes et rivalisé de gentillesses, à l’image des autres candidats : Tracy et Jasmine (gérantes d’un salon de manucure), Mélanie et François (un couple de bouchers); Mehdi et Fred (filmés à la salle de sport), Mireille et Christelle (accoudées au bar d’un café), Hassan et Jamal (deux libraires); Nicolas et Bertrand (en pleine partie de pêche),...
Pour rappel, "L’avis des Belges", adaptation de "Common sense" (émission diffusée sur BBC 2), s’inspire - plus largement - d’un concept né en Grande-Bretagne, en 2013.
Cette année-là, Channel 4 crée "The Gogglebox" - adapté en France et en Belgique par M6 et RTL-TVI sous le nom de "Vu à la télé". Toutes les semaines, plusieurs foyers issus de milieux variés réagissaient aux programmes télévisés, depuis leur canapé entouré de caméras.
Véritable Ovni télé (à l’époque), "The Gogglebox" révélait le pire comme le meilleur de la société. Dans sa composante documentaire, "Vu à la télé" offrait une mise en abyme interpellante du quotidien, dont on mesure à quel point il est influencé par la télévision (effet miroir garanti). Dans sa composante divertissante en revanche, "Vu à la télé" n’échappait pas aux dérives populistes.
"L’avis des Belges" ajoute un degré de complexité : les participants ne commentent pas seulement des émissions de divertissement mais l’actualité.
La version estampillée "service public belge" va-t-elle s’engouffrer dans le "business du commentaire" ?
Toujours est-il qu’elle s’inscrit dans cette tendance un brin voyeuriste qui consiste à se repaître de la souffrance et des malheurs d’autrui. Forte dimension ludique, vécu intense et direct, mise en scène de la vie privée… Finalité de tout ceci ? Divertir en prenant du plaisir à écouter, commenter, juger, surenchérir.
Or il y a souvent beaucoup de bon sens dans les remarques formulées par les candidats, notamment par les libraires Hassan et Jamal. Mais la manière d’en rendre compte, façon café du commerce ("Y a pas de fumée sans feu", "Tous pourris"), ne sert pas les institutions ou les commentateurs que la RTBF présente comme particulièrement "avisés".
Sous le couvert d’une approche soi-disant sociologique, la maison Reyers fait de l’avis des "Belges" un divertissement, un spectacle, un cirque dont il ne résulte que des représentations largement caricaturales.
