Les Haut-Parleurs retournent aux sources du journalisme

Entretien Virginie Roussel à Paris
Les Haut-Parleurs retournent aux sources du journalisme

Le message des jeunes journalistes francophones s’amplifie sur le Web.La Libre" vous annonçait la naissance des Haut-Parleurs, ces jeunes journalistes francophones munis d’une caméra, d’un appareil photo, d’un smartphone ou d’une tablette pour raconter ce qui se passe chez eux, autour d’eux, pour raconter des histoires liées à des enjeux de société en laissant libre cours à leur créativité et leurs talents. Leurs vidéos de 3 minutes se diffusaient sur leur site (leshautparleurs.tv5monde.com) et sur Youtube.

C’était en novembre 2015. Depuis, ils ont pris de l’assurance. Ils se sont professionnalisés : 180 vidéos, 80 reportages, et entre 2 ou 3 vidéos par semaine réalisées par 80 jeunes à travers le monde : français, canadiens, sénégalais, belges, maliens, libanais, irakiens, franco-danois… Les Haut-Parleurs méritent aujourd’hui leur titre de "première chaîne web et mobile de jeunes francophones au ton libre et spontané partout dans le monde". Une idée de Claire Leproust, présidente de Fablabchannel, start-up spécialisée dans la webcréation et l’édition de chaînes à la demande et une coproduction TV5 Monde.

Les Haut-Parleurs ne répondent-ils pas à une tendance du journalisme dit "incarné" en apportant une information en situation, voire mise en scène, afin de produire un récit novateur en s’adressant directement au public ?

Ce que nous voulions, c’est couper avec l’aspect atone de l’info et sortir du factuel. Les Haut-Parleurs parlent à une génération qui a des codes, particulièrement sur YouTube. Les jeunes s’adressent à leur audience, sans filtre. On voulait appliquer ces codes-là. On voulait qu’ils racontent des histoires qui les touchent eux, d’abord. Qu’on les sente engagés dans la société. Que l’on voie combien certaines choses les passionnent, les attristent, les préoccupent. On leur a dit de raconter comme ils le feraient à leurs propres amis. C’est davantage une question de ton, que d’incarnation au sens de mise en valeur du journaliste. En général, ce ne sont pas des stars !

Qu’est-ce qui vous a inspiré ce programme ?

C’est le manque de reportages ou de documentaires sur le Web. La news a sa place, mais quand il s’agit de prendre du recul, il n’y a quasiment rien. Ces jeunes journalistes, alors même qu’ils sont passés dans des écoles et savent faire de la vidéo, étaient très peu présents sur YouTube et n’avaient pas pris la parole.

Comment intéresser le jeune public ?

Les mots d’authenticité et d’indépendance reviennent souvent. Pour les jeunes, il y a cette nécessité d’avoir une voix qu’ils ressentent comme plus libre, plus transparente, plus directe. C’est la raison pour laquelle on demande aux journalistes de faire leur sujet sur leur propre terrain qu’ils connaissent bien.

Xuman rappe, avec talent, sur des sujets tels que l’excision, les hôpitaux à l’agonie, l’ouverture des frontières et prochainement le tourisme sexuel au Sénégal. Est-ce un journaliste ?

Il se dit "journartiste", une contraction entre "journaliste" et "artiste". C’est clair qu’il est journaliste et artiste à la fois. Quand on voit la manière dont on raconte les histoires aujourd’hui, je pense notamment à "DataGueule" (NdlR : sur France 4 et YouTube), la dimension artistique existe. En demandant à nos reporters de mettre leur personnalité et leur créativité dans les sujets, on ressent ce besoin de revenir à une dimension un peu artistique du journalisme.

Qu’est-ce qui pousse des journalistes à travailler pour vous ?

Après son école de journalisme à Bruxelles, Wilson est parti très vite pour l’Irak. Il a réalisé des sujets pour la RTBF et l’AFP. Pour nous, il a fait un sujet sur la jeunesse kurde, sur ces dandys qui aiment s’habiller, sur un groupe de métal, sur des réfugiés syriens qui pratiquent le breakdance sous le nez de Daech… Il a traité de sujets qu’il ne ferait pas pour l’AFP ou la RTBF. Caroline travaille au "Soir". Pour nous, elle a fait un sujet sur les églises reconverties en boîtes de nuit, sur les Belges sous Prozac… Elle prépare une série qui vise à démonter les clichés en Europe en prenant la Belgique comme centre d’un regard sur l’Europe. Pour tous ceux qui travaillent par ailleurs, c’est un peu leur zone de liberté. Dans la forme, ils ont une autre façon de pouvoir s’exprimer.

Quels candidats peuvent postuler ?

Il faut qu’ils sachent faire des sujets en vidéo, qu’ils aiment raconter des histoires du réel. Ils peuvent venir d’écoles de journalisme, de réalisation, être déjà sur YouTube ou blogueurs. Ils peuvent nous contacter via Twitter ou Facebook. On rémunère tout le monde, sur des formats courts. Mais on réfléchit aussi à des formats plus longs, des 26 minutes, que nous pourrions vendre à des chaînes de télévision.

TF1, par exemple ?

On a signé un accord avec le site Mediapart pour qu’il diffuse une dizaine de sujets du monde entier. TV5 Monde reprend déjà des sujets dans un JT. A mon avis, les sociétés privées du type TF1 ou M6 vont plutôt se rapprocher de grossistes qui font beaucoup d’audience, qui buzzent et qui sont capables de ramener du "brand content" (NdlR : contenu éditorial créé ou largement influencé par une marque). Ce qui n’est pas trop notre cas. Nous intéressons davantage des groupes de presse qui ont vraiment envie d’aller vers la vidéo, qui ont déjà mis un pied ou pas encore suffisamment, ou encore, qui veulent s’adresser à des publics plus jeunes.

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