Benjamin Maréchal se défend face aux critiques : "On veut me salir et me dégoûter pour me pousser à partir"

Jonas Legge & Dorian de Meeûs
Benjamin Maréchal se défend face aux critiques : "On veut me salir et me dégoûter pour me pousser à partir"
©Eric Guidicelli

Benjamin Maréchal est critiqué depuis le lancement de son émission "C’est vous qui le dites !" sur Vivacité il y a dix ans. Trop racoleur, poujadiste ou populiste pour certains. Raciste, homophobe et stigmatisant pour d’autres. L’animateur est devenu une cible. Il le sait et s’en accommode un peu. Mais les critiques, les polémiques et les plaintes se multiplient ces derniers mois... soulevant même des questions parlementaires et des pétitions en ligne. Les propos sont violents. Les attaques de plus en plus personnelles.

Cette semaine, un collectif de signataires s’indigne de la manière dont l’animateur controversé a traité le décès d’un jeune scout fauché par une voiture à Pecq. Extrait de cette lettre : "Les dérives de Benjamin Maréchal sont connues, il n’en est pas à sa première démonstration d’indécence ; elles ont déjà suscité de nombreuses interpellations de la RTBF. Mais voilà : il fait de l’audience. Tous les moyens sont bons, même les plus indignes. Jusqu’à récupérer la mort d’un scout de 12 ans pour poser une question absurde, tant elle est dénuée d’intérêt en termes d’information, et ignoble par l’effet qu’elle ne manque pas d’avoir sur tous ses proches." La question posée par Benjamin Maréchal était la suivante : "Rouler au-delà de 60-70 km/h quand on approche une troupe de scouts, c'est forcément un risque ou pas toujours ?"

Plus loin, les signataires demandent aux décideurs d’agir "pour qu’une telle récupération d’une tragédie pour faire le buzz à n’importe quel prix ne soit plus possible dans le cadre d’un média du service public. Nous vous demandons d’agir pour que d’autres n’aient plus à vivre cette expérience insupportable, qui rajoute de l’ignoble, de la bêtise, de l’indécence, du vulgaire buzz à l’atroce. Nous le demandons maintenant parce que nous sommes directement touchés par ce drame. Mais nous le demandons depuis longtemps, pour celles et ceux que cette émission blesse chaque jour. Au nom de leur respect et de la déontologie. Nous osons espérer que vous nous entendrez, et que vous nous répondrez par des actes forts."

Même au sein de la RTBF, l’animateur est peu défendu. Bertrand Henne, qui anime une émission de débats sur La Première, n’hésite pas à relayer cette lettre ouverte sur son compte Facebook. Et d’ajouter dans un commentaire: "Ce type est une insulte au service public". 

Face à ce déluge de critiques, Benjamin Maréchal s'explique sur LaLibre.be:

Estimez-vous être allé trop loin ?

C'est évidemment délicat de répondre car il faut prendre en compte le malaise des proches de cet enfant. J'entends ce malaise, mais la réactivité n'est pas un manque de respect. Cette réactivité est l'un des éléments caractéristiques du journalisme. L'émission n'a porté que sur la sécurité routière, elle n'a jamais dévié sur l'intime, sur cette famille. Suite aux critiques, j'ai évidemment relu mon texte, et je peux affirmer qu'il relate uniquement le récit de la manœuvre routière. J'ai l'impression que certains saisissent une opportunité lourde de sens - en m'accusant de me foutre de la mort d'un enfant - pour m'attaquer sur des valeurs personnelles. Mais il faut écouter le contenu de l'émission, pas s'arrêter sur des phrases...

Si c'était à refaire, reformuleriez-vous la question posée aux auditeurs ?

Je le referais de la même manière ! Je peux vous citer des centaines d'exemples traités le lendemain de faits tragiques, avec respect et pudeur, et qui n'ont pas posé le moindre problème. Lorsqu'une fillette de 12 ans a été mortellement renversée à Vilvorde il y a deux ans, nous avons fait une émission le lendemain et nous n'avons pas eu la moindre critique... Lorsqu'un fait d'actualité survient et que ce fait implique des questions de société, je le mets directement en débat en demandant leur avis aux auditeurs. Je le referais donc parce que c'est cela qu'on me demande de faire, le cahier de charges est clair.

Vous êtes conscient que certains aspects de l'émission et de votre personne dérangent ?

Ca, pour en être conscient, j'en suis conscient ! Il y a une interrogation majeure : en dix ans, me suis-je révélé être un monstre de sensibilité et de dialogue ? Ou alors cette émission a-t-elle pris une si grande importance dans le public et dans des milieux professionnels hostiles qu'elle génère autant de problèmes ? Ce doit être un peu des deux... Pour beaucoup, il est insupportable que nous donnions la parole à des gens, surtout en ce moment car beaucoup considèrent les politiques comme "tous pourris".

Ces critiques qui vous reviennent sans cesse vous imposent-elles des limites, des tabous ?

Depuis deux ans, on traite moins de sujets politiques car on sait que ça ne générera que du poujadisme bas de gamme et facile. Donner la parole aux citoyens est difficile car on s'approche des élections communales, parce que la RTBF négocie son contrat de gestion, parce qu'il y a un vrai corporatisme de la part des journalistes de rédaction qui considèrent comme insupportable que "leur matière quotidienne" soit traitée, commentée, manipulée par d'autres. Cette semaine, une de mes collaboratrices m'a demandé qu'on ne couvre pas un sujet d’actualité par crainte d'avoir des ennuis. Ce que les plaintes, regards en coin et commentaires génèrent, c'est l'autocensure. C'est terrible ! C'est insupportable ! Une partie de l'équipe a peur. Suis-je jusqu'au-boutiste ou kamikaze ? Je n'en sais rien. Ma vision de l’équité, c'est que tous les sujets se traitent de la même manière, avec le même respect, le même recul.

Comment vivez-vous les critiques venant de certains journalistes de la RTBF ?

Des journalistes et chroniqueurs de la RTBF me critiquent ouvertement, alimentent des pages "anti-Maréchal". Comme l'émission est difficile à assumer, on a sans doute tendance à laisser passer ces reproches. Je n'ai aucune envie de tomber dans un processus de victimisation mais je fais l'objet d'un traitement unique, une sorte de régime d'exception à la RTBF. On permet des critiques à mon encontre qu'on sanctionnerait si elles ciblaient un autre collaborateur. C'est dommage que des professionnels, y compris de mon entreprise, oublient que ce que nous faisons : du commentaire sur l'actualité. Donner la parole aux citoyens est une des missions de la RTBF. Depuis dix ans, on a rapproché la RTBF et Vicacité des gens.

Les pressions politiques, vous les ressentez concrètement ?

Ces derniers jours, il y a beaucoup d'interpellations au ministre Marcourt. A ma connaissance, la RTBF est une entreprise publique autonome... Mais il n'y a pas un ministre qui prend le téléphone rouge et qui appelle, tout se fait de manière nettement plus fine.

Vous avez toujours le soutien des membres de la direction ?

Même dans les moments de grande tension, j'ai toujours senti leur soutien. Pourquoi ? Parce que nous n'avons jamais été pris en défaut de bon choix d'édition. Contrairement à ce qu'on a dit, je n'ai jamais émis de position personnelle sur les grands sujets sensibles. Ma plus grande attention se trouve là, dans la neutralité. Mais quand, depuis dix ans, au quotidien, tu fais une émission super risquée, en direct, face aux gens, sans filtre hormis le standard téléphonique, évidemment il est possible de trouver des fautes. Heureusement que j'ai une direction intelligente qui regarde l'émission sur une séquence longue. Même si des thèmes ne plaisent pas, ma démarche est honnête.

Etes-vous sauvé par les bonnes audiences de l’émission ?

Je suis persuadé que, dans les premières années, elles ont sauvé l’émission face à l’énorme frilosité de la rédaction. Ensuite, l’émission a trouvé un large public, ce qui est important pour un service public payé par de l’argent public. Quand j’ai quitté Bel RTL pour arriver sur Fréquence Wallonie (NdlR : remplacée par Vivacité), on se foutait pas mal d’avoir de l’audience. Certains oublient parfois qu’à côté de cette émission, la RTBF propose une très vaste palette d’émissions et de canaux de diffusion.

Le 18 octobre dernier, vous affirmiez que "le sort de cette émission racoleuse est réglé". Que veut dire cette phrase ? L’émission s’arrêtera en fin de saison ?

C’est une boutade, car je sais bien que l’émission est qualifiée de poujadiste et de super racoleuse. Je ne devrais sans doute pas dire cela, mais il est clair que le sort de l’émission est scellé. La question, c’est quand ? Notons aussi que le régionalisation des nombreuses compétences a considérablement amoindri le nombre de sujets qui touchent l’ensemble des Belges, de Bruges à Arlon en passant par Bruxelles. Les thématiques bruxelloises ne soulèvent plus de réactions en Wallonie, et inversement.

Mais toutes les émissions ont une fin, cette boutade ne veut rien dire de plus précis ?

Mon analyse personnelle, c’est que l’émission est au bout d’un cycle de dix ans, ce qui est une durée de vie longue de nos jours car la consommation est de plus en plus rapide dans tous les domaines. Partout, il y a un rajeunissement et un renouvellement. Sur dix ans, sur le plan personnel, c’est aussi cinq années d’emmerdements intensifs. Je me demande jusqu’où... N’étant pas un idéologue ou un défenseur de la liberté d’expression, mais plutôt un pragmatique, je suis conscient qu’on arrive au bout de quelque chose. Ça devient très compliqué et les changements dans le management de la RTBF auront un impact. Concrètement, si j’étais le patron, je me demanderais jusque quand je pourrais accepter cette émission par rapport aux nombreuses polémiques, critiques et plaintes qu’elle soulève.

On vous reproche de soulever des commentaires poujadistes, populistes, xénophobes, racistes, homophobes et autres... Si la RTBF a pour mission, notamment, de donner la parole aux citoyens, votre recette n’est-elle pas la pire?

Je regrette que les détracteurs, même en interne, se limitent souvent aux titres des sujets. Ils n’écoutent pas les deux heures d’émission car, pour certains, c’est de l’ordre de l’insupportable. C’est vrai que certains auditeurs ont parfois des avis "limites" ou faux. Mais, par exemple, lorsqu’un auditeur critique les gens de "nationalité musulmane", je le reprends sur antenne et j’explique qu’on peut être "musulman et belge". Je réagis lorsque des propos inacceptables ou illégaux sont tenus en direct, car l’exercice fait que cela peut arriver. Je demande à ceux qui critiquent de ne pas s’arrêter aux façades des maisons, mais de juger l’ensemble du produit. Je suis obligé de vivre avec cette réputation dégueulasse, car les gens s’arrêtent aux slogans.

Mais, justement, vous jouez sur ces "slogans" manichéens. Vous pourriez mener une émission de débat avec les auditeurs sur un autre ton, avec plus de nuances dans les énoncés des sujets, non ?

Les questionnements très manichéens, avec des questions binaires de type "oui ou non", permettent souvent à des gens - qui ne sont pas des experts - d’entrer dans la matière, de se positionner. Ensuite, on argumente, et les auditeurs peuvent revoir leurs avis en écoutant des experts ou d’autres personnes. Si tout était manichéen, je vous assure que les débats seraient vite finis, il serait impossible de tenir deux heures à l’antenne.

Quel est votre état d'esprit aujourd'hui ?

Je ressens un grand sentiment de lassitude et de déception, notamment quand je m'interroge sur la capacité de mon entourage professionnel à prendre de la distance sur qui je suis et ce que je fais. Le mécanisme consiste à me salir et me dégoûter pour me pousser à partir. Je sers à alimenter la polémique.

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