Nicole Kidman, Elisabeth Moss et les obsessions de Jane Campion dans la saison 2 de "Top of the Lake"
Publié le 02-12-2017 à 16h03 - Mis à jour le 07-12-2017 à 21h55
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On sait que la saison 2 de "Top of the Lake" a été présentée en avant-première lors du Festival de Cannes en mai dernier. Mais saviez-vous qu’ Alice Englert, la fille de Jane Campion, y campe la jeune Mary, personnage autour duquel pivote toute cette saison ? Exploration.
Une valise est retrouvée sur la plage. D’un de ses coins fissurés s’échappe la longue chevelure noire d’une jeune femme asiatique échappée d’une maison close toute proche. Fraîchement revenue en Australie après une déception sentimentale de taille, la détective Robin Griffin (Elisabeth Moss) se rue sur cette nouvelle enquête. Le sort de cette China Girl** devient sa nouvelle obsession, sa raison de se lever chaque matin.
Forcée à travailler en duo avec une jeune recrue inexpérimentée (Gwendoline Christie), Robin manifeste rapidement son agacement vis-à-vis de cette partenaire qu’elle juge trop émotive et maladroite. La série tente d’ailleurs d’introduire une touche d’humour avec ce personnage de flic fragile, bien loin de celui de Brienne de Torth dans "Game of Thrones". Mais il faut de la patience avant que la recette ne prenne.
Le sort réservé aux femmes
Hantée par le viol qu’elle a subi lorsqu’elle avait 16 ans, Robin l’est aussi par l’idée de retrouver sa fille, adoptée par un couple d’Australiens hors normes. Pour Julia (Nicole Kidman, bluffante), la mère adoptive de Mary, le moment est d’autant plus malvenu que l’adolescente est en pleine crise et refuse désormais de lui adresser la parole.

Des voix dispersées
Si cette saison 2 de "Top of the Lake" reprend quelques-uns des thèmes déjà exploités précédemment (la violence faite aux femmes, la solidarité féminine…) sa tonalité générale est très différente.
Il ne s’agit pas d’un chœur de femmes fragiles mais solidaires, fortes ensemble, comme en abritait le camp "Paradise" de la saison 1. Cette fois, ce sont des voix solitaires qui tentent de se faire entendre : la femme bafouée, la mère délaissée et amère, l’adolescente frondeuse et subjuguée (Alice Englert) et quelques autres âmes sérieusement à la dérive. Face à elles, des mâles aux profils peu reluisants : un pervers narcissique, un ado attardé et obsédé, des collègues machos et franchement lourdauds…
Elisabeth Moss retrouve l’intranquillité et l’obstination viscérales de la détective Robin Griffin. Ce côté renfrogné, distant et sur ses gardes qui fait le lien avec d’autres personnages qu’elle a si subtilement composés au fil des ans : Peggy dans "Mad Men", Offred dans "The Handmaid’s tale"…
Quant à Nicole Kidman, elle offre une fois encore une prestation impressionnante avec ce personnage de mère pleine de rancœur face à une enfant qu’elle a adoptée, chérie et élevée mais qu’elle ne comprend absolument plus aujourd’hui.
Face à ces deux actrices de talent, on devrait être subjugué, emporté, conquis… Mais la réalité crue, décrite sans grande subtilité au départ, fait souvent obstacle à notre désir de comprendre.
La mélancolie, envolée
Exit la nature ensorceleuse et atypique de la Nouvelle-Zélande. Cette narration follement mélancolique disparaît au profit d’un polar citadin moins contemplatif. Un changement de lieu et de ton qui se traduit jusque dans le scénario souvent glauque mais nettement moins entaché d’étrangeté.
L’intrigue a perdu ce voile de mystère qui faisait sa singularité et sa force en saison 1 pour s’ancrer dans la réalité d’une "banale" enquête policière, même si les questions qu’elle soulève restent essentielles face au fonctionnement de notre société.
Moins mystérieuse, cette saison 2 (6 épisodes) reste tout aussi sordide dans son exploration des différentes formes de maltraitance des êtres humains et des femmes en particulier. Une fois encore, une jeune femme enceinte est au cœur de l’enquête et les temps sont d’autant plus durs pour l’inspectrice Griffin qu’elle est littéralement poursuivie par les ratés de son propre passé.
La difficulté de se connecter
Il y a des moments de grâce et de connexion humaine dans cette saison 2 mais elle tarde tellement à prendre son envol qu’elle risque d’avoir perdu une partie de son public avant d’avoir atteint sa vitesse de croisière.
On regrette surtout l’alchimie qu’elle peine à établir entre ses personnages féminins principaux qui promettaient beaucoup sur le papier: Nicole Kidman, Elisabeth Moss et Gwendoline Christie. Chacune livre une partition ambitieuse séparément, mais tout cela manque cruellement de liant.
Mention spéciale pour David Dencik qui parvient à composer un manipulateur cyclothymique tout à fait abject.

Nicole Kidman, "success girl"
Scandaleusement belle dans "Paper Boy", coupablement désirable dans "Eyes Wide Shut", meneuse de revue au "Moulin Rouge !", victime - ou bourreau ? - dans "Dogville" de Lars von Trier, mère infanticide à l’allure hitchcockien dans "Les autres"… Nicole Kidman est ce visage lisse, cette blondeur angélique qui semble dissimuler d’impénétrables pensées. "Son comportement, son allure, sa réserve permettent aux spectateurs de projeter sur son visage tous les sentiments qu’ils ont envie d’imaginer", disait François Truffaut de Catherine Deneuve. Comme elle, Nicole Kidman est capable de projeter sur l’écran "une double vie : vie apparente et vie secrète".
Pour le rôle de Virginia Woolf, dans "The Hours", elle s’est vue attribuer l’Oscar de la meilleure actrice en 2003. Le premier pour une comédienne australienne.
"Ses ancêtres, des fermiers ayant fui la famine en Irlande, ont débarqué en Australie en 1842. Un siècle et demi plus tard, elle figure parmi les Australiens les plus riches avec une fortune estimée à 331 millions de dollars", nous apprend Arte qui diffuse "Portrait de femme" de Jane Campion d’après l’œuvre de Henry James.
Nicole Kidman y campe une héroïne qui se veut libre, qui se croit libre, qui veut résister à tout, même à l’amour.
Une femme dans le chaos, mais qui conserve cette force irréductible, inextinguible, agaçante presque, à force de ne pas vouloir céder.
Dans "Top of the Lake - China Girl", la série de Jane Campion, elle arbore une abondante chevelure grisonnante qui fait songer à celle de la réalisatrice. Un visage nouveau, surprenant et familier à la fois. Celui de toutes les femmes que filme Jane Campion avec tant de justesse depuis "La leçon de piano". Des femmes rebelles et aimantes, fragiles et indestructibles à la fois.

Elisabeth Moss, invaincue de "Mad Men" à "The Handmaid’s tale"
Née en 1982 à Los Angeles, Elisabeth Moss a été associée dès ses premiers rôles à des séries d’envergure sur le petit écran.
De 1999 à 2005, elle est Zooey Bartlet, la fille du président américain le plus cool de l’Histoire du pays dans la série "A la maison blanche" d’Aaron Sorkin. Elle est ensuite choisie par Matthew Weiner pour camper l’ineffable Peggy Olson, jeune femme effacée mais résolue, transformée au fil des saisons en secrétaire carriériste dans l’univers de "Mad Men", de 2007 à 2015.
Délaissant les tenues dignes des gravures de mode, elle se glisse, dès 2013, dans le costume sombre de la détective Robin Griffin de "Top of the Lake". Lancée corps et âme dans les paysages parfois hostiles de la Nouvelle-Zélande, elle poursuit l’agresseur de la jeune Tui, adolescente tombée mystérieusement enceinte. Un rôle salué d’un Golden Globe dans la toute première série de la cinéaste Jane Campion.
Mais c’est le personnage de la jeune Offred, réduite à l’état de mère porteuse-esclave dans la République concentrationnaire et fasciste de Gilead, imaginée par l’auteure Margaret Atwood, qui lui offre son uniforme le plus étouffant et le plus contraignant à ce jour: "The Handmaid’s tale".
Trois séries, trois univers opposés, trois femmes complexes et déterminées et trois cinéastes et scénaristes au sommet de leur art. Un hasard ? Sûrement pas, plutôt une nécessité, celle de choisir des rôles à la hauteur de l’enjeu et de l’époque. Des femmes confrontées à la violence des hommes ou de leur milieu et à leurs propres limites, qui refusent d’abandonner leurs rêves et défient les autorités quelles qu’elles soient…
Des championnes de la résilience
Des rôles qui la confrontent à l’image et au rôle de la femme tels qu’envisagés dans une société où le patriarcat continue à dominer largement. Féministe ? Si Elisabeth Moss ne se revendique pas comme telle, c’est bien l’image que ses personnages renvoient de la comédienne. Productrice de "La servante écarlate", série dystopique au message inquiétant, avec laquelle elle a décroché deux Emmy awards en septembre dernier (meilleure actrice, meilleure série), elle a promis de s’impliquer "nuit et jour" dans la saison 2, en cours de développement.
A côté de ces rôles aussi remarquables que marquants sur le petit écran, Elisabeth Moss est aussi à l’affiche du nouveau film de Ruben Östlund, "The Square", sacré Palme d’Or du dernier Festival de Cannes.