"La Mort dans l’âme": quand une fiction s’empare de l’infanticide (ENTRETIENS)
Publié le 31-01-2018 à 12h20 - Mis à jour le 31-01-2018 à 12h21
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France 2 diffuse "La Mort dans l’âme" ce mercredi à 20h55. Xavier Durringer y provoque "une opposition de physiques et de styles" entre Didier Bourdon et Hugo Becker. Le sujet est âpre. Un homme, Marc Lagnier, est poursuivi pour le meurtre de son propre fils adolescent. Alors qu’il passe rapidement aux aveux, un jeune avocat ambitieux, Tristan Delmas (Hugo Becker), se propose de le défendre.
Avec La Mort dans l’âme ***, pour France 2, le cinéaste Xavier Durringer s’empare de cette confrontation inédite entre Didier Bourdon et Hugo Becker, deux comédiens qu’il a choisi de diriger à l’instinct. Avec un sens particulier de l’épure, il ose les silences, les frottements, les chocs.
"Une palette incroyable"
Le premier pari du réalisateur est d’avoir choisi Didier Bourdon dans un rôle à contre-emploi. "Il a une formation classique, au Conservatoire. Il me fait penser à ces grands acteurs d’il y a une trentaine d’années. Il a une palette incroyable, il peut tout jouer, de la grosse comédie à la tragédie. Je savais qu’il avait envie d’aller vers le drame et de casser son image d’acteur. Le rôle était magnifique pour lui. Et il est tellement intéressant à filmer. Il a cette capacité à pouvoir saisir tout de suite les situations, les enjeux dramatiques. Je suis d’une école où le corps parle. On a envie d’être sur lui, que ça dure. Quand un acteur est habité, il y a quelque chose qui se passe", s’emballe le réalisateur.
Didier Bourdon reconnaît au passage être "un peu en manque de rôles dramatiques, après avoir joué dans beaucoup de comédies. Au théâtre, je prends mon pied, parce que je fais les deux. J’ai envie de rattraper le temps là-dessus. J’ai adoré jouer notamment dans "La Promesse de l’aube", un rôle magnifique, pathétique, grandiose, sous la direction d’Eric Barbier. Xavier Durringer, qui connaît très bien ma carrière, m’a fait confiance tout de suite", confie le comédien, qui incarne cet homme ambigu, taiseux. "Marc Lagnier est un faux taiseux. Il est chargé à l’intérieur, il est plombé mais il se retient, et c’est sympa à jouer", précise-t-il.

Jeune premier
Le comédien se retrouve dans de nombreuses scènes à huis clos face à Hugo Becker, dont Xavier Durringer estime qu’"il a toutes les qualités pour devenir un énorme acteur. Dans la série "Chefs", je l’ai trouvé fantastique. Je cherchais un jeune premier avec de la force et de la naïveté. Il a une élégance. Nous avons si bien travaillé ensemble que je l’ai emmené en tournage en Thaïlande cet été pour mon prochain film au cinéma, "Paradise Beach"".
Le réalisateur s’attache aussi à "cette rencontre très particulière entre ces deux comédiens, parce qu’il y avait une opposition de physiques et de styles, et c’était un mariage parfait". Didier Bourdon ajoute : "J’ai eu de la chance de tourner avec Hugo Becker. Il a un côté un peu propret que j’aime bien, et un côté ambitieux, un petit côté Macron. Son personnage a affaire à un sumo en face. Il se demande comment il va le prendre, et ensuite, il va être touché, et je vais être touché par lui".
En plans-séquences
Afin de mettre en relief le côté presque animal de ce duo, Xavier Durringer a opté pour "une caméra très mobile, très attentive, qui tournait autour des acteurs. J’affectionne les plans-séquences, pour laisser le temps à l’acteur de raconter sa propre histoire et de se révéler devant la caméra. Ce qui apporte énormément d’émotion".
"Et quand vous filmez un acteur dans le silence, le spectateur a le temps de se mettre à la place du personnage, de se poser les questions à sa place, et d’être touché émotionnellement par les rapports de ces deux hommes. L’un veut sauver la peau de l’autre, qui ne veut pas être sauvé. Il y a de la vulnérabilité, de la sensibilité. J’aime accentuer des petits gestes, des regards qui font toute la différence et vont faire qu’on va trouver un film bon. C’est aussi comment les corps s’expriment au-delà des mots. On fait souvent des films trop bavards".
À noter que ce téléfilm, sombre, d’une rare profondeur, offre aussi une partition tout en nuances à Isabelle Renauld, qui incarne une mère emportée par le drame. "J’ai croisé une femme dont le fils était autiste, et qui s’en voulait. On trouve un peu de cela ici. Je trouvais cette culpabilité belle à jouer. Qu’ai-je fait pour que mon fils soit comme ça ? Pourquoi ? Il faut avoir beaucoup de compassion pour des gens qui vivent cela", plaide Didier Bourdon.
"Dans mes films, je ramène les comédiens à eux-mêmes. Ils doivent se demander comment ils vivraient les choses dans telle situation. On ne triche pas. On enlève le jeu. Et je ne fais que cinq prises. Cela oblige les acteurs à jouer la même partition en même temps", insiste Xavier Durringer. Il rêve maintenant de se tourner vers des récits mystiques, ésotériques.

Hugo Becker : "J’ai vu plaider mon père sur l’affaire Patrick Dils"
L’acteur Hugo Becker joue pour la première fois un rôle d’avocat, ambitieux mais sur la brèche.
En quoi ce rôle vous a-t-il séduit ?
Mon père est avocat pénaliste et c’était intéressant de jouer un avocat pour moi. En outre, aucun film n’avait montré le fait qu’un avocat soit obligé de suivre la ligne de défense de son client. Même s’il a accès à certaines informations, il n’a pas le choix. Il peut essayer de le conseiller ou l’influencer, mais il doit suivre sa ligne, son choix de plaider coupable ou non coupable. Ce qui pose des dilemmes importants. Enfin, il y a aussi le sujet de l’infanticide, autre aspect intéressant à défricher.
Vous êtes-vous inspiré de votre père ?
Je n’ai pas copié mon père. Le travail d’acteur consiste davantage à s’inspirer. Mais il a pu lire le scénario, et me donner de précieux conseils, sur des subtilités qui apportent une crédibilité au personnage. Je lui ai volé des trucs, comme je l’ai fait sur "Chefs" avec David Toutain en cuisine : des phrases, des regards appuyés… J’ai vu plaider mon père sur l’affaire Patrick Dils à Lyon, ou sur une affaire dans laquelle un père était accusé de maltraitance sur son enfant. J’ai des souvenirs de quelqu’un qui travaillait énormément. De même, je ne voulais pas qu’on voit mon personnage décrocher. Il fume d’ailleurs beaucoup, parce qu’il est tout le temps dans un rythme soutenu et qu’il a besoin de béquilles.
Comment avez-vous vécu la confrontation avec Didier Bourdon ?
J’étais d’abord fan de lui dans des comédies comme "Les Trois frères". Puis j’ai vu "Quinze jours ailleurs", cette fiction de France 2 sur le burn-out. Et j’ai été soufflé par la qualité, la précision de son jeu. C’est très agréable de travailler avec lui. Ces deux personnages ont en commun de ne rien montrer de leurs émotions. Et il y a un malaise émotionnel fort. Ces choses-là surgissent. On ne peut pas les plaquer. D’ailleurs, Xavier Durringer, qui affectionne les plans-séquences, laisse libre cours à la vie dans le jeu. Il ne sabote pas ce qui se passe entre les acteurs. On lui fait confiance et il vient choper de vrais moments forts, ce qui rend les choses moins contrôlées.
Qu’est-ce qui vous plaît dans son cinéma ?
C’est un cinéma très organique, instinctif, et c’est très jouissif pour les acteurs. C’est un cinéma d’outsider. Ses premiers films, comme "J’irai au paradis car l’enfer est ici" n’étaient pas très attendus sur le plan du traitement, de la façon de filmer. Il s’intéresse à l’entièreté de la scène. Il ne fait pas son découpage au montage. Il sait exactement comment il va filmer. Il y a aussi beaucoup de plans-séquences comme dans le film qu’on a tourné cet été en Thaïlande, "Paradise Beach".