"Je suis née en 1870 et je suis entrée à l’usine à l’âge de 12 ans"
Publié le 24-08-2018 à 14h37 - Mis à jour le 24-08-2018 à 14h38
:focal(541x278:551x268)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ZYN7EWX6WNEA5HZWAZCIENAZUM.jpg)
Une fiction réhabilite une ouvrière de la fin du XIXe.
"Je suis née en 1870 et je suis entrée à l’usine à l’âge de 12 ans." C’est avec ces mots que Lucie Baud, une héroïne oubliée de la fin du XIXe siècle, employée dans une filature de soie, démarre ses mémoires. Un récit aride de quinze pages, dont l’historienne Michelle Perrot s’est emparée pour écrire un roman, publié en 2012 chez Grasset.
Il a éveillé l’attention du réalisateur Gérard Mordillat, qui en tire une fiction éponyme en 90 minutes, "Mélancolie ouvrière" sur Arte, à 20 h 55, sublimée par le jeu intense de Virginie Ledoyen en Lucie Baud, et de Philippe Torreton, incarnant le syndicaliste Auda, dont cette féministe a croisé la route.
"J’avais l’impression qu’elle était de ma propre famille. C’était une femme éduquée, informée, alors qu’elle était issue d’un milieu paysan et ouvrier", plaide Gérard Mordillat.
Un personnage romanesque
S’il est connu pour son intérêt pour la condition ouvrière, le réalisateur de la mini-série "Les Vivants et les Morts" évite ici l’écueil du documentaire. Même s’il s’est fortement documenté, il a veillé à donner chair au personnage de Lucie Baud, à ses émotions.
La colère, l’enthousiasme, ou le désespoir sont "portés" par les parties chantées (" Le temps des cerises", "Va, pensiero" de Verdi) et par la musique de Jean-Claude Petit. "Je suis parti de l’idée que la grande culture populaire, c’est le chant. Il faut se rappeler que dans les ateliers de tissage, à cette époque, on poussait les apprenties à chanter, afin de se donner du cœur à l’ouvrage, de couvrir le bruit des machines et de tenir le coup pendant les treize ou quatorze heures de leur journée de travail. Je voulais que les acteurs jouent en chantant, qu’ils ne soient pas doublés", soutient Gérard Mordillat.
Fille d’une ouvrière et d’un cultivateur, Lucie Baud "n’est pas une militante au départ. Son engagement n’est pas réflexif. Elle réagit humainement et se révèle face aux mauvais traitements de son patron. Et ce n’est que lorsqu’elle rencontre Auda qu’elle se rend compte que cette révolte intuitive, d’autres l’ont déjà pensée et mise en actes", analyse Virginie Ledoyen. "Ce qui me frappe, c’est à quel point son combat est contemporain. J’ai eu envie de donner un visage à quelqu’un qu’on n’avait jamais pris la peine de regarder, à quelqu’un dont le parcours étonnant a probablement changé notre vie."
"Une petite femme !"
Alors que le patron de l’usine décide de retrancher un tiers du salaire des ouvrières, pour quatorze heures de travail au lieu des treize quotidiennes, Lucie Baud prend conscience de l’injustice à laquelle elle, et ses congénères, sont confrontées depuis l’enfance.
Vous n’êtes qu’un capitaliste qui fait danser les millions que d’autres gagnent pour vous", lâche-t-elle au patron, qui a cette réponse, rapportée dans un journal local de l’époque : "Vous n’êtes qu’une petite femme !"
Lucie Baud fondera un syndicat, mènera une grève, au risque de se faire rejeter par la société et par sa propre famille. Cette fiction lui rend sa dignité.