Issa Rae : "Les Blancs en ont marre de regarder des séries dans lesquelles il n’y a que des Blancs !"
Publié le 30-10-2018 à 14h45 - Mis à jour le 01-11-2018 à 11h16
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Retour sur le parcours de l’actrice et productrice couronnée Personnalité de l’année 2018 lors du récent Mipcom.Durant son enfance au Sénégal, Issa Rae Diop n’aurait sans doute jamais imaginé devenir célèbre à l’âge adulte en livrant son point de vue assez tranché sur le quotidien d’une jeune femme noire aux États-Unis. D’Awkward Black Girl à Insecure , son ton cash et son abattage impressionnant lui valent aujourd’hui d’être considérée comme l’une des voix les plus puissantes et les plus prometteuses de la communauté afro-américaine, mais aussi l’une des personnalités les plus influentes de 2018 selon le Time Magazine. Un statut que la trentenaire a encore parfois du mal à endosser, question de discrétion et de singularité sans doute.
"Tout ce que je raconte est en lien avec la communauté noire de Los Angeles et même du sud de Los Angeles. Cela n’a rien à voir avec la difficulté d’être noir aux États-Unis, en général. J’ai toujours été fière de ce que je suis. C’est ce que mes parents m’ont appris." Tant de son père, médecin d’origine sénégalaise, que de sa mère, fière professeure afro-américaine originaire de Louisiane.
À l’affiche du film The Hate U Give, sorti début octobre aux USA (et attendu en février en Belgique), qui suit le travail politique et de terrain d’activistes impliqués dans le mouvement Black Lives Matter , Issa Rae est également attendue dans American Princess, prochaine comédie en développement pour la Fox produite par Paul Feig, le réalisateur de L’Ombre d’Emily. Stella Meghie (Everything, Everything) assurera la réalisation de cette comédie romantique où une jeune Américaine, après avoir déménagé à Londres et être entrée dans la haute société, trouve l’amour de façon inattendue. Au scénario, Issa Rae retrouve Amy Aniobi, scénariste et productrice exécutive de sa série Insecure. La comédienne donnera également la réplique à Justin Hartley ( This is Us ) dans la comédie Little, prévue pour le 20 septembre 2019 aux États-Unis. Trois rôles aux antipodes, donc.
Golden Globes et Emmy Awards
Tous ces projets ne la détournent cependant pas de sa série Insecure, créée en 2016 et récemment renouvelée pour une saison 4. Nommée aux Golden Globes en 2017 et 2018 et pour l’Emmy Award de la meilleure actrice dans une série comique en 2018, ces multiples sollicitations du grand écran prouvent qu’Issa Rae a su imposer sa voix débridée et sans complexes à travers sa création originale pour HBO.
Jolie revanche pour celle qui a commencé son travail de façon très artisanale et autodidacte sur le Web en 2011 et qui s’était entendu dire à l’époque que "les histoires de Noirs n’intéressent pas le public majoritairement blanc".
Désireuse de poursuivre sa quête d’authenticité en donnant la parole à une équipe de scénaristes qui partagent des expériences à la fois proches et très différentes mais toujours en lien avec la communauté noire, Issa Rae n’a pas caché son étonnement de voir sa série connaître un tel succès international. Mais le chiffre le plus surprenant à ses yeux reste celui de son public aux États-Unis, car "62 % des personnes qui regardent Insecure sont blanches, c’est bien la preuve que tous ceux qui disaient qu’une série de ce type était trop clivante ou destinée à un public trop restreint avaient totalement tort. Même les Blancs en ont marre de regarder des séries dans lesquelles il n’y a que des Blancs", a plaisanté Issa Rae lors de la masterclass organisée dans le cadre du Marché international des programmes audiovisuels (Mipcom).
Sur les traces de Shonda Rhimes
Si Issa Rae reconnaît avoir été largement inspirée par le parcours de la scénariste et productrice Shonda Rhimes, grande prêtresse de la télévision américaine (Grey’s Anatomy, Scandal , How to Get Away with Murder ), elle pousse le curseur plus loin encore en soignant le point de vue de la jeune génération noire-américaine aux prises avec les questions de masculinité et de féminité à l’heure où les relations amicales et intimes ont été bouleversées par le développement des réseaux sociaux.
Dans la writer’s room d’Insecure, "il y a une majorité et une grande diversité de femmes, de tous âges et de tous les horizons, principalement noires, et un seul homme blanc. Ce qui change sérieusement la donne par rapport aux autres séries. Souvent, on le charrie en lui disant que ça lui permet de voir ce que c’est qu’être une minorité visible", plaisante l’actrice et créatrice. "Dans Insecure, nous ne partageons que des histoires que nous avons nous-mêmes déjà vécues." Ce qui assure à la fois originalité et pertinence à la série, et ce qui vaut à la jeune femme, à la fois productrice, réalisatrice, actrice et scénariste, d’avoir été couronnée Personnalité de l’année 2018 lors du Mipcom qui vient de s’achever à Cannes.
Génération en recherche mais sans complexes
Construite en écho à cette génération de trentenaires qui n’imagine plus aller à la découverte du monde sans passer par le filtre des réseaux sociaux ou de la recherche Google, Insecure pousse assez loin le curseur des délires et des désirs, ce qui a valu à Issa Rae d’être boycottée par sa propre mère. "Elle m’a dit : ‘À quoi ça a servi de t’élever en faisant scrupuleusement attention à ce que tu regardais si ce que tu crées aujourd’hui est largement rejeté par le contrôle parental ?’"
Consciente que sa série n’est pas à mettre devant tous les yeux et du rôle croissant à jouer en termes de représentativité, Issa Rae dit plancher sur un nouveau projet : un show pour les petites filles qui permettra sans doute à de jeunes pousses de s’affirmer et de se développer.
Une façon de se reconnecter à son propre parcours : son enfance au Sénégal, tout comme ses années à Stanford (2007) ou celles passées à Potomac dans le Maryland et ensuite à Los Angeles. Des expériences de vie où majorité noire, puis blanche, se sont alternées et ont toutes nourri son œuvre. De quoi sans cesse se remettre en question et fournir une matière foisonnante à sa série Awkward Black Girl (2011) diffusée initialement sur YouTube.
De ses premiers pas sur le Net à sa montée des marches à Cannes, il est certain que le chemin parcouru devrait inspirer la jeune génération afro-américaine, mais pas seulement…