David Murgia, le feu devenu flamme
Publié le 05-11-2018 à 11h36 - Mis à jour le 05-11-2018 à 11h37
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"Jour de relâche" retransmet "Laïka", à 21 h 05 sur La Trois.David Murgia brûle les planches à la manière d’un feu qui n’a plus de fumée quand il est devenu flamme. Pour emprunter au mystique Djalal Al-Dîn Rûmi, David Murgia brûle pour nous éclairer. Dans Laïka ***, il est le signe vivant et aimant des bannis dont a été gommée toute dignité : "Je défends très fort la prostituée, j’aime beaucoup cette dame qui a la tête embrouillée, ce clochard qui n’a pas toujours été un clochard." La critique française - de la plus exigeante à la plus blasée - encense l’acteur belge auréolé du prix de la critique en 2017 pour meilleur seul-en-scène avec cette pièce d’Ascanio Celestini, créée en janvier 2017 au Festival de Liège. Au Théâtre du Rond-Point des Champs-Élysées, David Murgia s’était révélé au public français avec Discours à la nation. Il est ovationné pour le monologue de Laïka, celui d’un homme venu observer les bannis de la terre que Maurice Blanchy - sorte de Yolande Moreau au masculin - magnifie à l’accordéon.
"Celistini, on va te tuer"
À 18 ans, David Murgia rejoint son frère au Conservatoire royal de Liège. L’aîné a ouvert la voix. "Quand j’ai poussé les portes, j’ai vu Brecht : ‘Vous êtes venus faire du théâtre mais, maintenant, une question : pour quoi faire ?’ J’ai vu Artaud : ‘Tout ce qui est dans l’amour, dans la guerre, dans les crimes ou dans la folie, il faut que le théâtre nous le rende s’il veut retrouver sa nécessité.’" À 20 ans, il rencontre Ascanio Celestini, anthropologue de formation, auteur, comédien et metteur en scène italien, au Festival de Liège. "Bizarrement, ma compagne sociologue fait une thèse sur la désindustrialisation et sur les licenciements massifs d’ArcelorMittal, confie David Murgia. Nous avons passé deux ans à interviewer des ouvriers licenciés. C’est une préoccupation très forte, pour moi, de pouvoir traduire ses perspectives théoriques en images, en récit poétique. Le théâtre apporte des doutes là où l’on avait des certitudes. Il peut aider à sortir de cette fatalité selon laquelle il n’y a aucune alternative au capitalisme."
À l’origine du mouvement citoyen "Tout autre chose", il inscrit son travail dans le Raoul collectif. Dans son propre spectacle L’Âme des cafards, il parle de son grand-père immigré espagnol venu travailler dans les mines. Fils d’un Italien plafonneur et d’une Espagnole coiffeuse, il grandit depuis dix ans dans le compagnonnage d’Ascanio Celestini : "Ascanio, c’est l’histoire de Gramsci, de Pasolini, de Dario Fo, l’histoire du théâtre italien et d’une pensée politique post-Mussolini, d’une résistance au fascisme. Selon une manière simple et poétique, ses textes peuvent se dire en trois minutes en radio, se jouer sur un piquet de grèves."
Patrick Bebi, liégeois comme David Murgia et fils d’immigrés italiens, a rejoint les deux artistes : "Père à la mine, mère à la FN, une caricature prolétarienne !" ironise ce professeur d’art dramatique au conservatoire devenu le traducteur francophone d’Ascanio Celestini. D’emblée, il est impressionné par le jeu de son élève : "David ne cherchait pas à être un bon acteur, mais un véritable conteur d’histoires." Aujourd’hui, la parole se radicalise en Italie. "Un jour, Ascanio arrive dans un village et il voit sur un mur : ‘Celistini, on va te tuer’", témoigne Patrick Bebi. Ascanio Celestini, celui dont la parole a visé Paris en plein cœur.