Marco Lamensch, créateur de Strip-Tease: "Nous n’avons jamais eu la volonté de nous moquer des gens"
Publié le 23-11-2018 à 18h12 - Mis à jour le 23-11-2018 à 18h30
:focal(507x260.5:517x250.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/56EXQWLRMJGF7KNDYS2Q64NWWQ.jpg)
Marco Lamensch, co-créateur de l’émission "Strip-Tease" avec Jean Libon, publie le livre "Strip-Tease vous déshabille". L’occasion d’évoquer, en sa compagnie, la genèse, l’histoire, les anecdotes et les recettes de cette émission mythique.
Pourquoi avez-vous souhaité écrire ce livre ?
J’avais commencé à prendre des notes il y a une quinzaine d’années et j’avais laissé tomber. J’ai eu des soucis de santé et là, je me suis dit que c’était le moment de reprendre le livre. Pendant les années Strip-Tease, les gens nous posaient des tas de questions, j’ai écrit une série de textes, soit en partant de films qu’on avait faits, soit en essayant de comprendre pourquoi on avait réussi ou raté telle ou telle chose mais aussi de répondre à des accusations contre l’émission, qui n’ont jamais été faites de front.
C’est vrai qu’on vous a, parfois, reproché de vous moquer des classes populaires…
Ce sont rarement des "petits" qui nous disent ça. Ce sont souvent des gens qui ne connaissent pas les "petits" ou qui ne les connaissent plus. L’intérêt de Strip-Tease, c’est justement que des gens de classe, d’âge, de religions différentes ou autres se découvrent les uns les autres. C’est pareil pour les classes aisées. Dans un film de Manu Bonmariage qui s’appelle Les petits des petits de, on voit des braves garçons et filles à la fin d’une soirée, se mettre en rang d’oignon en chantant la Brabançonne car ils ont du respect pour le pays. Ça a fait rire tout le Belgique mais, eux, quand ils se voient, cela ne les fait pas rire… Nous n’avons jamais eu la volonté de nous moquer des gens.
Pourquoi avoir commencé ce livre par La soucoupe et le perroquet ?
Parce qu’il est très connu, il est stupéfiant et il a été la source de beaucoup d’ambiguïtés. Les gens se sont dits : " A h, c’est un catalogue de farfelus et de zozos" et j’explique justement que non. Qu’on ait fait quelques farfelus, oui, mais à mon avis, il y a moins de farfelus proportionnellement dans Strip-Tease que dans la vie. La soucoupe et le perroquet est un film éminemment poétique sur la relation entre une mère et son fils.
Vous avez listé des propositions de sujet refusées. Le sosie de Johnny, le collectionneur de bouillottes… Qu’est-ce qui fait un bon sujet Strip-Tease ?
On en a reçus 50 000 des sujets comme ça… Ce n’est pas l’originalité du truc qui fait l’intérêt de la chose. Le collectionneur de bouillottes, tu le dis comme ça, c’est drôle mais ça fait une photo. Il faut que le gars soit vraiment drôle et surtout que ça nous dise quelque chose sur la société.
L’idée de "Strip-Tease" est née d’une frustration ?
Strip-Tease, ce n’est pas une idée géniale qui a germé sur un coin de table dans le cerveau de Libon et Lamensch. Il y avait l’envie de faire de moins en moins de la radio filmée et de sortir de ce qu’est encore trop souvent le documentaire, c’est-à-dire des interviews et ensuite des images sur laquelle on met du commentaire. Parfois, ça se justifie parfaitement bien, hein, mais on voulait sortir de ça. C’est pour cette raison que l’on s’est fixé des règles très strictes. Il y a un minimum d’interviews et pas de commentaire.
Quand on filme un "Strip-Tease", on ne fait pas qu’allumer la caméra et attendre…
C’est un mythe. Si on pose la caméra et qu’on attend, il ne se passe rien en général. Avant de tourner, on a fait de longs repérages, on sait comment les gens vivent, les moments intéressants ou difficiles. On s’arrange pour qu’un certain nombre de choses qui nous paraissent significatives de la vie des gens soient condensés au moment où l’on tourne mais on ne leur suggère pas de faire des choses qu’ils ne feraient pas.
Pourquoi avoir refusé la voix off ?
Notre idée, c’était de n’employer que le langage cinématographique. C’est le cinéma de fiction qui a le mieux employé ces trois outils que sont la caméra, l’enregistreur et surtout la table de montage. On s’est dit : "Essayons d’employer la grammaire du ciné de fiction, sans ces répétitions permanentes de la télé".
Vous êtes restés en contact avec des protagonistes ?
Très souvent. J’ai reçu un coup de fil il y a 15 jours du héros du film Sortir du troupeau, il habite vers Avignon et quand il m’arrive d’être dans ce coin, je l’appelle. Il y a des réalisateurs qui sont moins empathiques, j’en connais un ou deux, qui ne revoient jamais les gens et ne laissent pas toujours une bonne impression, mais c’est très minoritaire. La preuve, on a réalisé beaucoup de suites.
Benoît Mariage a eu des remords après A fond la caisse épisode sur un père qui pousse son fils de 4 ans à devenir un champion de motocross ?
Il a l’impression d’avoir joué les vengeurs, d’être responsable des ennuis que le type a eus après. C’est vrai que ces images sont saisissantes. Le père avait remercié Benoît après la diffusion mais les voisins et toute la Belgique lui sont tombés dessus et il a pris une avalanche de critiques. Benoît a dit que c’était sans doute cela qui l’avait poussé à faire de la fiction.
De votre côté, il y a certains sujets que vous regrettez ?
Ceux que j’ai moins aimés, ce sont ceux où je trouve que le sujet du film, qui se veut toujours sociologique relevait plutôt de la psychiatrie. Je trouve qu’on ne doit pas montrer cela. Ca ne dit rien sur la société ou, en tout cas, pas grand-chose.
Ce serait possible de lancer "Strip-Tease" aujourd’hui ?
C’est devenu plus compliqué avec l’émergence de la téléréalité qui a changé le regard des gens sur la télévision, ils ont vu la télévision comme quelque chose qui vous donnait de la notoriété et/ou du fric. Et puis, il y a les réseaux sociaux, il y aurait toute une série de choses que l’on ne pourrait pas faire. La moindre boule de neige devient une avalanche et je crois que sur les 850 films, 450 auraient créé des polémiques épouvantables et idiotes. Cela aurait fonctionné uniquement là-dessus et ça aurait été catastrophique.
La "bible" de Strip-Tease
Dans Strip-Tease vous déshabille, un ouvrage qui ravira les plus grands fans, Marco Lamensch dévoile en quelque sorte la "bible" de l’émission qui fut diffusée de 1985 à 2012 sur la RTBF et France 3. À travers des images d’archives et les recoins de sa mémoire, il revient sur la genèse de l’émission, liste les différentes idées qui lui ont été proposées, rappelle la patience qu’il faut avoir pour "dégoter" les bons protagonistes, évoque les anecdotes de tournage, les personnalités qu’il aurait souhaité suivre, les polémiques et les critiques, les mea culpa, le générique auquel on a échappé, les difficultés d’entrer dans certaines institutions ou encore les rares tournages qui ont capoté.
Les épisodes les plus marquants sont, en général, classés par thèmes : l’immigration, la crise économique, le troisième âge, la police, la politique, la bourgeoisie, l’extrémisme, le colonialisme, les médias, les conflits de voisinage, les brouilles de famille, l’érotisme… Ce livre est aussi l’occasion de rendre hommage aux réalisateurs, monteurs et à toutes les personnes qui ont participé, de près ou de loin, à l’émission. Parmi eux, il y a notamment Martine Matagne, la voix mythique de Strip-Tease et Frédéric Siaud, le réalisateur de Soucoupe et perroquet. C‘est à eux, récemment décédés, que cet ouvrage est dédié.
"Strip-Tease vous déshabille", un livre de Marco Lamensch, Chronique Éditions, 224 pages.