Evin, conteuse de talents: "La radio suscite une écoute très attentive et surtout très perspicace"
Publié le 18-12-2018 à 10h09 - Mis à jour le 18-12-2018 à 10h10
:focal(665.5x340:675.5x330)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ELSRJNIUJVF6FP5YRQIE5KKU7I.jpg)
Kathleen Evin, vingt ans de carrière pour retrouver l’harmonie du monde. Finding Beauty de Craig Armstrong, un générique propice à la rêverie, celui de L’Humeur vagabonde, le samedi à 19 h 20, sur France Inter. Une empreinte musicale choisie par Kathleen Evin comme un écho à son empreinte vocale.
Aimez-vous votre voix ?
J’étais toujours effondrée par ma voix trop aiguë causée par le stress du micro. Sa vraie voix n’est pas celle que l’on a dans sa tête. Quand je reçois des acteurs, que je passe un extrait de théâtre ou de film, beaucoup se bouchent les oreilles. Je fais de la radio depuis 30 ans. Il m’aura fallu 10 ans pour faire la paix, pour accepter d’entendre ma voix. Dès lors, elle s’est posée. Et je me suis habituée à moi-même.
Comment construisez-vous vos émissions ?
C’est mon envie qui me guide. Je ne vais vers les choses que lorsqu’elles me font un signe. Je visite des expos qui me plaisent, je reçois des auteurs dont j’ai aimé les livres. Si je n’aime pas, je n’ai pas de question.
Vos propres envies rencontrent-elles celles de vos auditeurs ?
Je n’en suis pas sûre, mais à la radio, quand on n’est pas convaincu, quand on s’ennuie, cela s’entend. Devant la télévision, nous sommes attirés par 1 000 choses. La radio suscite une écoute très attentive et surtout très perspicace.
La culture, c’est…
Indispensable ! C’est ce qui nous permet de trouver un peu d’harmonie dans un monde de plus en plus violent et méchant. La culture ouvre des espaces où l’on se retrouve soi-même puisqu’il y a une certaine solitude face à un livre, un tableau, une musique et où l’on y retrouve les autres. C’est un champ de partage apaisé.
Pourriez-vous retourner à la politique ?
J’ai commencé ma carrière de journaliste en politique. Je l’ai quittée pour la culture. C’était une question de santé mentale. Je ne supportais plus d’entendre les mêmes discours promettant toujours que ça irait mieux alors que ce sont toujours les mêmes petits arrangements avec la réalité. Pour continuer à voter, il fallait que j’arrête de m’y intéresser professionnellement.
Vous avez pourtant participé à la campagne présidentielle de François Mitterrand.
En 1988, j’étais au chômage car mon journal avait fermé. On m’a demandé si je voulais m’occuper de la presse. J’ai dit oui car cela correspondait à mes convictions. Après son élection, j’ai décliné les offres. Je suis retournée au chômage, puis je suis entrée à la radio.
Si vous aviez reçu François Mitterrand dans "L’Humeur vagabonde", quelle question lui auriez-vous posée ?
Pourquoi n’a-t-il pas fait la réforme fiscale pour ramener plus de justice sociale en France ? C’était ma grande divergence avec lui. Pour arriver à supprimer ce sentiment terrible d’injustice que l’on connaît aujourd’hui, il faudrait ne faire qu’un impôt, payé par tout le monde, du premier centime au dernier milliard, avec une progression en ligne droite. Parce que c’est le lien avec la République. Je me souviendrai toujours de sa réponse : "C’est de la folie furieuse ! Les Français détestent que l’on touche aux impôts, ils ont toujours l’impression que ça va être terrible."
Que vous apportent les artistes ?
Dans le théâtre, la littérature, les arts plastiques, il y a une telle remise en cause permanente, une telle interrogation sur la qualité de ce que l’on produit que l’on est obligé de se demander : Suis-je en adéquation avec l’œuvre que je produis ? Comme le dit justement la Bible, même si je suis une athée militante, chacun est responsable du talent qu’il reçoit.
Face à vos interlocuteurs, une question vous taraude ?
La création est un acte assez solitaire qui est ensuite montré au public. Que cela marche ou pas, les artistes y retournent. J’essaye de comprendre comment ils s’y remettent et essaient d’aller plus loin, à chaque fois. Je suis toujours épatée par leur courage, leur volonté de se retrouver en adéquation avec leur recherche personnelle. Si je devais choisir une devise, ce serait la leur : j’ai essayé.