"Twilight zone", le remake des années 60 qui explore les peurs américaines
Publié le 30-03-2019 à 13h27 - Mis à jour le 31-03-2019 à 11h52
Le remake de la série des années 60, conçu par Jordan Peele, est présenté ce samedi dans le cadre de Séries Mania. Dire que les fans de The Twilight Zone attendent Jordan Peele au tournant tient de l’euphémisme. La série est un monument du genre et fait même partie du patrimoine historique de la télévision américaine (1959-1964). Heureusement, les états de services de Jordan Peele parlent pour lui : à la fois, acteur, producteur du dernier film de Spike Lee et réalisateur récompensé aux Oscars pour son film horrifique Us, il n’a pas été choisi au hasard par la chaîne CBS.
Grand admirateur du scénariste Rod Serling, Jordan Peele avait pourtant refusé, au départ, de participer à la résurrection de cette anthologie télévisuelle. Par "anthologie", on entend que chaque épisode peut être regardé de façon indépendante, tout en conservant une approche et une tonalité communes avec l’ensemble. Jordan Peele a d’ailleurs rappelé que l’épisode Mirror Image a été une inspiration très forte pour son film Us, porté par l’actrice Lupita Nyong’o, dans lequel l’horreur ne naît pas de la rencontre avec des créatures étranges et surnaturelles mais où les monstres sont des êtres humains. La propension de Serling à démonter les angoisses de la société américaine à travers Twilight Zone pour en faire un lieu d’interrogation de sa conscience sociale est ce que Peele admire le plus dans la série.
On sait peu de choses sur le contenu du remake montré ce samedi en exclusivité dans le cadre du festival Séries Mania si ce n’est que Jordan Peele y reprendra le rôle de narrateur endossé par Serling dans la version originelle. Un rôle endossé avec méfiance (et respect) tant lui semblait grande l’ombre de son mentor. En guise de clin d’œil au maître, Peele a notamment développé l’épisode Cauchemar à 30 000 pieds, dans lequel l’acteur Adam Scott est persuadé que son vol court un grave danger. D’autres stars sont attendues dans les prochains épisodes : John Cho, Ginnifer Goodwin, Tracy Morgan, Greg Kinnear, Seth Rogen…
De sa série Key & Peele à son premier film en tant que réalisateur, Get Out, Peele a lui aussi utilisé le cinéma de genre pour dénoncer les dérives de la société américaine contemporaine à commencer par les brutalités policières et les excès de la société libérale. Peele ne cache d’ailleurs pas que l’élection de Donald Trump a changé la donne aux yeux de beaucoup de fans estimant que Serling aurait certainement eu beaucoup à dire sur les dérives de la période actuelle.
Et en ce qui concerne les comparaisons avec la série Black Mirror, digne héritière de l’univers de Serling, Peele souligne que The Twilight Zone n’est pas aussi sombre que l’anthologie produite par Netflix.
On pourra bientôt vérifier ses dires : le lancement des dix nouveaux épisodes sur CBS All Access est fixé au 1er avril et ce n’est pas une mauvaise blague…

Les multiples facettes d'une série culte
Comment les 138 épisodes de 25 minutes d’une série en noir et blanc, diffusée de 1959 à 1964, restent-ils considérés 60 ans plus tard parmi les meilleurs de tous les temps ? Le fait que la télévision défriche alors de nouveaux territoires ne suffit pas à expliquer le statut d’exception de "La Quatrième dimension".
Qualité de production et d’écriture
Lorsqu’il conçoit The Twilight Zone, Rod Serling est déjà un producteur en vue, alors que la télévision est encore un média jeune. Fort de son expérience, il devient le premier véritable showrunner de l’histoire de la télévision, garantissant à la série sa cohérence, bien que tous les épisodes soient indépendants et sans lien les uns avec les autres. Cette homogénéité est renforcée par son obligation contractuelle d’écrire 80 % des épisodes (il en signera 92 sur les 156 produits). Les autres épisodes seront principalement écrits par Richard Matheson et Charles Beaumont.
Alors trentenaire, Matheson, futur maître de la littérature de science-fiction, a déjà publié à l’époque deux de ses plus célèbres romans fantastiques : Je suis une légende(I Am Legend, 1954) et L’Homme qui rétrécit (The Shrinking Man, 1956). D’autres écrivains comme Ray Bradbury, Lawrence O’Donnell et C. H. Liddell (sous le pseudonyme commun de Lewis Padgett) y participeront également.
Une série engagée et novatrice
Aux sources de Twilight Zone, il y a un crime raciste, qui a scandalisé Rod Serling : le lynchage d’un adolescent afro-américain, Emmett Till. Serling a écrit et produit un épisode d’une autre série traitant d’un crime raciste, afin de sensibiliser l’opinion. Les réactions négatives l’ont amené à envisager le fantastique et la science-fiction comme un moyen détourné de critiquer la guerre, l’exclusion, le racisme, les injustices - en inversant, par le biais du fantastique, les paradigmes du monde réel et la normalité. En pleine guerre froide et début de la conquête spatiale, certains scénarios apocalyptiques ont marqué les esprits. Pour atténuer leur noirceur ou leur nihilsme, Serling fit de l’humour noir et de l’ironie des marques de la série.
Une série minimaliste
Le cinéma de genre, comme les séries, ont souvent su faire du manque de moyens une force. The Twilight Zone ne fait pas exception : unité de temps et de lieu, nombre d’acteurs limité (le maximum, en un épisode, fut de quinze). L’impact résidait dans l’écriture, le non-dit, le caché. Les décors dépouillés - souvent recyclés du cinéma - ajoutaient aux ambiances mystérieuses ou angoissantes, inspirant parfois les scénarios : Rod Sterling écrivit un épisode se déroulant dans un avion en découvrant une maquette d’un Boeing, à l’échelle, acquise par le studio.
Des génériques impressionnants
Serling eut le flair d’engager des talents émergeants. Les jeunes comédiens Charles Bronson, Robert Duvall, Dennis Hopper, Burt Reynolds ou Robert Redford y font leurs armes avant le cinéma, Peter Falk (Columbo), Ron Howard (Les jours heureux, puis réalisateur), Martin Landau (Mission Impossible), et un tiers du futur équipage de Star Trek Leonard Nimoy, William Shatner, George Takei débutent aussi. Quelques vétérans font des apparitions : Buster Keaton, Ida Lupino (la seule femme à réaliser un épisode de la série), Agnes Moorehead ou Mickey Rooney. Les réalisateurs Richard Donner (Superman), Don Siegel (Inspecteur Harry) ou Ted Post (Magnum Force) contribuent à la cinquième saison.
Quatrième ou cinquième dimension ?
Dans l’accroche originale, en anglais, la Twilight Zone est qualifiée de fifth dimension, littéralement "cinquième dimension" - et non "quatrième", qui désigne uniquement le temps. Or, dans le concept de la série, la Twilight Zone, littéralement Zone Crépusculaire, recouvre un concept plus large. L’expression est utilisée par l’U.S. Air Force pour désigner le cas où un pilote est incapable de distinguer la ligne d’horizon - soit un moment de confusion des repères.