Portrait de l'immortel Liu Xiaobo, l’homme qui défia Pékin
Publié le 04-06-2019 à 14h17 - Mis à jour le 04-06-2019 à 15h55
:focal(843.5x429:853.5x419)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/RRTAVHMSI5BFPFNMQRYM5OSJYI.jpg)
Le journaliste Pierre Haski ressuscite le prix Nobel de la paix, figure tutélaire de Tian’anmen. Sur Arte, ce mardi soir, à 22 h 55. Le régime chinois aura tout fait que pour la planète entière oublie ce 4 juin 1989 : censure totale d’Internet et interdiction de commémoration. Raison de plus pour regarder Liu Xiaobo, l’homme qui a défié Pékin, un portrait à vif du dissident chinois au cœur du mouvement de la place Tian’anmen marquée par le massacre dans la nuit du 3 au 4 juin, il y a 30 ans. En partant de son interview qui a valeur de testament - donnée en 2008 à François Cauwel, à l’occasion des JO de Pékin - Pierre Haski, journaliste et chroniqueur géopolitique pour le 7/9 de France Inter, a retrouvé ses proches et sa veuve, la poétesse Liu Xia, exilée en Allemagne. Hommage à un homme puissant par son rayonnement.
Quand avez-vous rencontré Liu Xiaobo ?
Quand j’étais correspondant à Pékin pour Libération, entre 2000 et 2006. Il est venu à ma soirée d’adieu alors qu’il avait interdiction de rencontrer la presse, à l’époque. J’avais privatisé un bar, à Pékin, et invité plein de journalistes. Liu l’avait appris. Il était venu alors qu’il y avait des policiers en civil devant la porte du bar. C’était en janvier. Il faisait froid. Il avait mis un bonnet de laine et une écharpe. Il était passé avec des amis en éclatant de rire, un peu comme des gens qui ont trop bu. Ils sont rentrés et les policiers n’ont rien vu. Il s’est retrouvé à l’intérieur, au beau milieu des 40 journalistes alors qu’il avait interdiction complète d’en rencontrer. Ça résume le personnage, ses petits comme ses grands défis, son côté Robin des Bois qui joue en permanence avec l’interdit.
Qu’est-ce qui vous a frappé chez lui ?
Il m’a fait penser à deux autres personnes que j’ai rencontrées : Steve Biko, à l’époque de l’Apartheid en Afrique du Sud, mort sous la torture et Thomas Sankara, président du Burkina Faso. Ce n’était pas simplement un activiste. C’est quelqu’un qui a réfléchi, qui a lu, qui a construit une pensée autonome. Il avait cette dimension humaine incroyable qui pouvait être repoussante, parce qu’il était cash. Il pouvait dire leurs quatre vérités aux gens, à ses amis, ceux que j’interviewe et dont je parle dans mon livre (Liu Xiaobo - L’homme qui a défié Pékin, coédité par Arte Éditions et Hikari Éditions, NdlR). Et ensuite, ils pouvaient devenir amis pour la vie.
Liu Xiaobo se dit lié aux âmes de Tian’anmen…
Il a été, je dirai, traumatisé par le fait de survivre quand les autres sont morts. Il en a conçu une culpabilité. Cela a aussi été le moteur à la fois de sa décision de rester en Chine - quand beaucoup d’autres sont partis en exil - et de se battre.
Ce n’est donc pas lié à une spiritualité ?
Il y a un côté sacrificiel, presque chrétien chez lui. Mais il ne s’est pas converti, contrairement à beaucoup de survivants de Tian’anmen.
C’est avant tout un homme qui aura voulu vivre dans la vérité...
Sa philosophie est inspirée par Vaclav Havel. Il est prêt à payer ce prix pour vivre dans la vérité. Il exige des autres la même chose. Il met la barre tellement haut dans cette exigence individuelle, que je la trouve presque effrayante. Liu dit que les Chinois ont adopté ce qu’il appelle « la philosophie du porc ». Ils ont accepté un bien-être matériel en échange d’un renoncement à la liberté. Je trouve ça injuste de renvoyer les chinois à cette sorte de trahison. Tout le monde ne peut pas mettre la barre aussi haut que des individus hors du commun comme lui. Aujourd’hui, la classe moyenne chinoise vit dans le confort. Peut-on lui dire : tu as trahi la cause du peuple et tu as renoncé à la liberté ? Non. Dans certains villages, c’est la tradition qui fait obstacle à la liberté de certaines femmes de cette classe moyenne, en leur imposant le mariage. C’est beaucoup plus complexe que ça la vie.
Pendant ses neuf ans d’emprisonnement, Liu Xiaobo écrivait. Comment retrouver ses textes disparus ?
Il me semble que, par tradition, les partis communistes ne jettent pas ces choses-là. Regardez les archives du KGB, de la Stasi. À mon avis, ils sont dans un carton, quelque part. Les lira-t-on un jour ? Il faudra un sacré changement d’état d’esprit, voire de régime pour que ça se fasse.
Croyez-vous à un changement de régime, en Chine ?
J’ai appris que l’histoire n’est pas écrite. Personne n’avait prévu la chute du mur de Berlin, la fin de l’URSS, les révolutions arabes. Si, aujourd’hui, le régime chinois paraît totalement maître de la situation, personne ne sait ce que la prochaine génération réserve, ni ce que les tensions actuelles dans le monde, les nouveaux rapports de force pourront entraîner.