Kassav: l’émancipation antillaise en chansons
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Publié le 28-06-2019 à 07h53 - Mis à jour le 28-06-2019 à 09h52
Disques d’or, concerts et rythmes entêtants ont mis le créole en orbite. France 3, 23h.Mon premier est l’ambassadeur d’un genre musical célébré à travers le globe (le zouk). Mon deuxième a été le groupe français le plus connu à l’international durant deux décennies (1980 et 1990). Mon troisième a été le premier groupe français à remplir le Stade de France. Mon quatrième détient le record de 63 concerts à guichets fermés au Zénith de Paris (4000 places). Mon cinquième est synonyme de fête populaire et d’airs chantés à tue-tête par des fans qui n’en comprennent souvent pas les paroles, écrites exclusivement en créole. Mon tout est Kassav, groupe mythique, véritable institution dans les Antilles et partout en Afrique, qui a fêté ses 40 ans le 11 mai dernier lors d’un concert organisé à Paris. Égalant le succès et la longévité des Rolling Stones...
Emmené par Jacob Desvarieux, Georges Décimus, Jocelyne Béroard, Jean-Philippe Marthely et Jean-Claude Naimro, le groupe phare de la musique antillaise semble n’avoir d’autre limite créative que la défense de la langue créole et de sa liberté.
Revendications
Comme le souligne le film Kassav, une histoire*** si la musique du groupe est festive, ses paroles véhiculent des prises de position fortes. "Kassav est un cri de ralliement qui parle de la souffrance des Antillais, depuis l’esclavage (1635-1848) et la colonisation (1848-1946) jusqu’aux 70 ans d’assimilation forcée et le bannissement du créole", détaille Michel Fayad, conservateur du musée Martinique. En mettant en musique cette période sombre de son Histoire, Kassav a joué un grand rôle dans l’expression des valeurs guadeloupéennes et martiniquaises. Ce qui a fait dire au chanteur Wyclef Jean : "Kassav, ce n’est pas seulement de la musique, c’est un mouvement."
"Kassav est né dans cette période de lutte et de revendications sociales du début des années 70, et de la poussée de la conscience indépendantiste à la fin des années 80 en Guadeloupe", rappelle le syndicaliste Elie Domota. Autant de revendications qui se traduisent en chansons et peuvent expliquer la frilosité de la Métropole à son égard...
Du côté de l’Équateur et au-delà, l’enthousiasme, au contraire, est général. Le groupe semble épouser toutes les sonorités africaines de façon presque magique. En mariant différentes influences et rythmiques (rock, funk, disco, etc.), le zouk s’est en effet imposé aux Antilles. À côté de la salsa de Cuba, du calypso de Trinidad, du compa en Haïti, du reggae en Jamaïque, du merengue de Saint-Domingue, ou de la biguine en Martinique. "Le son de Kassav est reconnaissable entre mille, son succès a parlé à toute l’Afrique", insiste le grand Youssou N’Dour. Un lien tissé depuis leur toute première tournée africaine démarrée en 1987 en Côte d’Ivoire...
Documentaire en forme de kaléidoscope
"Avec ses cuivres tranchants et ses belles harmonies, c’est la musique de toutes les boîtes de nuit. L’Afrique a épousé Kassav ! Avant d’être caribéens, ils sont africains", s’enflamme Alpha Blondy.
Les riches images d’archives de concerts et les témoignages de fans et de professionnels à travers le globe se mêlent dans le film de Benjamin Marquet pour former un solide kaléidoscope.
Nile Rodgers, Bob Sinclar, Peter Gabriel, Manu Dibango, Miles Davis et Manu Katché, et tant d’autres, y témoignent de l’apport unique de la formation quadragénaire dans la musique contemporaine.