Paris Match fête ses 70 ans: le grand film de la vie, depuis 7 décennies
Rédacteur en chef à Paris Match, Gilles Martin-Chauffier y a passé près de quatre décennies. Il lève un coin de voile sur les coulisses du magazine.
Publié le 29-06-2019 à 15h53 - Mis à jour le 29-06-2019 à 15h54
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Rédacteur en chef à Paris Match, Gilles Martin-Chauffier y a passé près de quatre décennies. Il lève un coin de voile sur les coulisses du magazine.Le 25 mars 1949, cigare à la main, Churchill s’affiche en Une d’un magazine qui renaît de ses cendres, après les terribles années de guerre. De Match il devient Paris Match - titre préféré à Le match de la vie, jugé trop long. Mais l’ambition de son fondateur, Jean Prouvost, est intacte : Paris Match sera "le grand film de la vie". Septante ans plus tard, si le métier a bien changé, l’ADN, lui, n’a pas muté.
Entré à Paris Match voici presque quarante ans, Gilles Martin-Chauffier, aujourd’hui rédacteur en chef, en a connu des bouleversements, des scoops, des coups de théâtre, des réunions de rédaction au finish, des bouclages douloureux. Il en a même fait le terreau d’un roman, L’ère des suspects, dont l’un des personnages principaux lui ressemble étrangement… "Mes livres racontent la société française contemporaine, ce sont des romans de journaliste, dit-il. Ma vie de journaliste et celle d’écrivain sont totalement mêlées. Je travaille dans la semaine au journal, le week-end j’écris mes romans. Ce qui est merveilleux, en plus, c’est que Match correspond exactement à la manière dont je conçois l’écriture. Dans L’ère des suspects, on passe d’un personnage à un autre, d’un lieu à un autre, chacun parle à son tour. Match, c’est exactement la même chose : on fait parler des gens."
Vous êtes à Match depuis 1981. Vous avez vu la presse changer du tout au tout ?
"Oui. Le plus gros changement, pour un journal comme Match qui est un journal de photos, c’est que pendant les 25 premières années de ma carrière, les agences de photos, mondiales, étaient françaises : Gamma, Sipa, Sygma tenaient le marché mondial, elles étaient installées à Paris. Toutes les photos qui étaient prises dans le monde arrivaient dans l’heure à notre rédaction. Ces agences se sont toutes cassé la gueule. Aujourd’hui, n’importe qui - vous, moi qui ne connaissons rien à la photo - qui vit un événement hors du commun sort son iPhone et fait une photo qui est aussi bonne que celle qu’aurait pu faire un professionnel il y a trente ans. Et ces clichés arrivent immédiatement sur le réseau. À Paris Match, chaque jour, le service photo regarde plus de trente mille clichés."
Et au niveau rédactionnel ?
"Au niveau du texte, le politiquement correct est une réalité dans le quotidien des journalistes français."
Vous dites que tout devient compliqué, de nos jours…
"Il y avait deux choses dans Match : les grands reportages internationaux - et là, les choses n’ont pas changé, on a des journalistes qui sont spécialisés sur des régions, des grands reporters, en ce moment au Sahel ou au Proche-Orient - et le reste. Pour ça, Match est un journal assez facile à faire : il y a 120 pages, la politique, la culture, les pages pratiques, les grands reportages et puis, il y a LA couverture et les deux sujets people. Ça, c’était très simple il y a 50 ans. Brigitte Bardot était une copine, Alain Delon venait dans les couloirs du journal… Aujourd’hui, je ne parle même pas d’avoir accès à Vanessa Paradis, mais même une petite starlette qui joue dans un feuilleton de TF1, ça demande de passer par un agent, des négociations… C’est plus facile d’avoir une interview de Donald Trump ! Ça prend six mois, mais au moins, une fois que les choses sont calées, ça se fait. Les pseudos stars de la télé ou de la chanson, de nos jours, demandent à voir les photos, quand ce ne sont pas les questions, les sujets à ne pas aborder. Autrefois, c’était la fiesta du journal, de nos jours, c’est diplomatique et compliqué."
Dans votre échange de mails avec Michel Houellebecq, que vous avez publié dans le numéro anniversaire, il dit qu’il valait mieux être jeune dans les années 70… Vous le pensez aussi ?
"Ah oui ! C’étaient des années merveilleuses, il était interdit d’interdire. On pouvait tout dire, c’était après mai 68, la liberté d’expression était totale. D’ailleurs tout le monde disait n’importe quoi (rires). Au niveau de la sexualité, c’était totalement débridé parce qu’on avait, enfin, trouvé la pilule. Je pense qu’à toutes les époques de l’histoire, les hommes et les femmes n’ont pensé qu’à faire l’amour. Ce n’est pas plus libre aujourd’hui, mais simplement les filles ne tombent plus enceintes. Dans les années 70, la culture rock a déferlé sur le monde, une génération jeune est apparue. Mai 68, ça a surtout été une révolution mentale. Aujourd’hui, le sida est passé par là, la vie sexuelle est beaucoup contrôlée qu’autrefois, plus prudente. Et puis, le politiquement correct fait qu’il est absolument interdit de dire quoi que ce soit."
On était plus libre dans l’écriture, aussi ? Il y avait des plumes plus folles qu’aujourd’hui ?
"Pas forcément. À Match, il y a eu pendant des années Jean Cau qui avait un style éblouissant, qui était extraordinairement drôle et qui n’avait pas peur de faire de la provocation. Il était très libre dans son écriture. À Match, on veut des journalistes qui ont du talent. S’ils en ont, ils ont tous les droits. Ce n’est pas un journal à œillères. À l’Obs, vous ne pouvez pas écrire du bien de Laurent Wauquiez, comme vous ne pourrez pas en écrire sur Raphaël Glucksmann dans Valeurs Actuelles. Nous, on écrit ce qu’on veut. Ce qu’on demande aux gens, c’est du style et ce n’est pas facile d’en trouver. Du reste, nous avons un gros système de "rewriting" au journal, les chapeaux sont faits par une équipe, moi je fais tous les titres : cela donne une certaine unité, qui fait donne le "style Match". Mais vous savez, on est une toute petite équipe. Les gens s’imaginent une rédaction gigantesque alors que le nombre de gens qui écrivent, c’est une trentaine de personnes."
Quand on prépare un numéro spécial pour les 70 ans, comment s’y prend-on ?
"Il y a des sujets photos exceptionnels qu’on a gardés sous le coude, comme ce cliché où on voit le visage d’une femme qui va être pesé avant une greffe. Il y a des rencontres que l’on veut faire : on voulait Frédérick De Klerck qui parle de Mandela, c’était prévu depuis des mois. Idem pour Bono. Et puis, il y a des choses qu’on espère avoir, qu’on démarche pendant des mois, comme le Pape à qui on voulait montrer le journal… On sait aussi, par exemple, que la réunion entre Delon et Belmondo, ça ferait son effet dans la presse. D’autant qu’ils sont tous les deux très beaux et qu’on a fait une photo magnifique. Mais tout ça est préparé longtemps à l’avance !"
Et vous avez choisi Sophie Marceau en couverture. Pourquoi elle ?
"C’est le principe de Match depuis 70 ans (et ça nous complique beaucoup la vie) : on doit avoir une couverture people. Tant qu’à choisir… Sophie Marceau, c’est la star française la plus populaire. Les hommes l’adorent parce qu’elle est très belle, les femmes l’aiment beaucoup parce qu’ils la trouvent sympathique et qu’elles imaginent qu’elle ferait une bonne copine. En plus, on avait des photos magnifiques… Dans les années 60, on avait beaucoup de stars en France : Deneuve, Bardot, Delon, Belmondo. Ils étaient connus partout dans le monde. Aujourd’hui, il n’y a plus beaucoup de stars internationales : une fois que vous êtes sortis de Depardieu, Vanessa Paradis et… Sophie Marceau."
Un numéro spécial est sorti, avec 70 ans de couvertures. Si vous deviez n’en retenir que quelques-unes ?
"Oh, vous me prenez de court. À la mort de Lady Di, on a fait une très belle couverture, très simple, avec juste deux dates. C’est quelque chose que l’on a créé, auquel j’ai participé alors que j’étais rédacteur en chef depuis très peu de temps et j’en suis assez fier. J’ai été très fier quand on a fait la Une sur les carnets d’Alfred Sirven, au moment de l’affaire Elf. C’est Match qui a trouvé ces carnets. Et puis, il y a des couvertures merveilleuses de Brigitte Bardot par Ghislain Dussart, la mort de Kennedy puis celle de son fils John-John… La couverture, c’est une telle bataille, chaque semaine !"