Guy Carlier raconte son combat contre la boulimie : "A la radio, j’arrivais avant tout le monde, par le monte-charge à pianos"
Dans Moins 125 (Cherche Midi), Guy Carlier raconte son combat contre la boulimie, sans fard et sans détours.
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Publié le 10-08-2019 à 10h50 - Mis à jour le 12-08-2019 à 05h26
Dans Moins 125 (Cherche Midi), Guy Carlier raconte son combat contre la boulimie, sans fard et sans détours. Il a longtemps été considéré comme le flingueur du PAF. De ceux qui vous taillent un costard, oui, mais avec élégance et humour. Quand d’autres se contentent d’aboyer et de mordre, lui caresse avec des mots qui sont autant d’aiguilles remplies de venin. Pendant des années, à la radio, pour Stéphane Bern ou en télé pour Marc-Olivier Fogiel, Guy Carlier a trempé sa plume dans l’acide et on en redemandait. Lui profitait des oreilles et du regard bienveillants d’un public qui n’attendait que ça : se foutre de la gueule d’un invité, mais avec le sourire. Enfin, on le regardait, on l’enviait, on l’aimait. Mais une fois la porte du studio refermée et celle de son appartement passée, une fois l’armure retirée, il ne restait de ce personnage bravache qu’un corps vide d’amour qu’il mettait une énergie folle à remplir de bouffe.
Moins 125, le livre qu’il vient de publier au Cherche-Midi, raconte comment, avec l’aide d’un homme qu’il a pourtant regardé de haut, lui aussi, Guy Carlier a échappé à la mort. Rencontre.
En lisant ce livre, on se dit que vous avez beaucoup hésité avant de vous lancer…
"C’est vrai, j’avais d’autres projets. Mais à la base, ce que j’aime, c’est écrire. Je ne veux plus être le sniper. Je n’avais pas vraiment de projet d’écriture dans ce sens-là ; j’étais à Europe 1, l’an dernier, où j’avais une chronique quotidienne dans Rien ne s’oppose à midi, l’émission de Matthieu Noël. Ce qui veut dire bosser toute la journée pour ça, vous ne faites rien d’autre ! J’y ai pris énormément de plaisir mais c’est une année où je n’ai rien fait d’autre. Comme je tenais absolument à écrire mon nouveau spectacle, j’ai pris une année ‘sans radio’. Et puis, je suis allé dîner chez Jean-Michel Cohen, le nutritionniste, qui est devenu mon ami et, au cours de ce dîner, il m’a dit qu’il y a une douzaine d’années, je faisais partie du Top 5. Je lui ai demandé ce qu’était le Top 5 et il m’a dit qu’il n’y avait pas plus de cinq personnes de 55 ans, en France, qui pesaient plus de 250 kilos."
Ça a été un électrochoc ?
"Oui. Je me suis rendu compte que le jour où il était parvenu à me faire entrer - m’enfermer - dans la clinique des addictions, il m’avait sauvé la vie. J’ai compris que j’étais dans le déni. Je pesais 250 kilos et dans ma tête, je pensais toujours comme l’ado, mince, que j’avais été. Avant d’être addict à la bouffe, boulimique. Je me souviens, à l’école, il y avait des petits gros, des bons gros. Moi, ce n’était pas le cas. C’est l’addiction qui a provoqué l’obésité. C’est souvent le cas, d’ailleurs, bien plus que l’hérédité ou la génétique. J’ai eu envie de raconter cette histoire parce que, lors de ce dîner, j’ai raconté aux autres convives à quel point on n’avait rien pour devenir les meilleurs amis du monde. Quand on s’était rencontrés, à la radio, j’avais été très agressif avec lui parce qu’il adore les caméras, les médias. Stéphane Bern nous avait présentés façon match de boxe : à ma droite, je nutritionniste le plus célèbre de France, à ma gauche, le gros le plus connu du PAF. Moi je le voyais comme un ‘nutritionniste pour dames’, qui faisait perdre trois kilos à des starlettes avant les vacances. Il m’avait pourtant donné sa carte en me disant qu’il pouvait peut-être m’aider."
Mais à ce moment-là, vous n’aviez pas envie d’entendre ça…
"Non. J’étais dans un tel déni ! Je ne marchais pas plus de cinquante mètres par jour… Il y a une adaptation psychologique et physiologique à l’obésité. J’allais le plus loin possible en voiture, je ne fréquentais que les restos qui avaient un voiturier. Quand j’allais à la Maison de la Radio, je me garais devant le magasin où on stocke les instruments de musique parce qu’il y a un monte-charge pour les pianos. Je n’avais que cinq mètres à faire pour m’y engouffrer, mais j’arrivais avant l’émission pour que personne ne me voie. Je me ‘démusclais’, je n’avais plus de corps. Et, chaque jour, j’avais une crise de boulimie massive qui me laissait assommé, allongé l’après-midi. Le matin, je me levais de bonne heure, j’écrivais à jeun, en buvant du café. J’allais à la radio, les gens m’applaudissaient, j’étais le roi du monde, je déjeunais avec l’équipe, on s’amusait beaucoup. Stéphane, souvent, me disait : C’est dingue, mais tu ne manges rien.’ Ben non, le propre des boulimiques, c’est de manger en cachette."
Comme toutes les addictions !
"Absolument. Et l’après-midi, c’était l’enfer donc. Je raconte dans le livre ce chemin, reste d’éducation judéo-chrétienne, qui ressemble aux neuf stations du Christ : mensonge, honte, culpabilité, dégoût de soi… Au fur et à mesure que j’écrivais le livre, c’est passé d’un hommage à Jean-Michel Cohen à un livre que j’espérais utile."
À qui ?
"À tous les gens qui, comme moi, sont dans la solitude d’une addiction. Ils sont seuls et ils n’en parlent pas. J’ai participé à une émission de radio, récemment, dans laquelle une femme, boulimique, témoignait sous couvert d’anonymat. Elle expliquait que personne ne savait… Parce que même aux psys, vous mentez. Vous savez très bien ce qu’ils vont vous poser comme questions, alors vous les manipulez. Ce qui était frappant, c’était ce silence, le fait qu’elle culpabilise et qu’elle pense qu’elle est une mauvaise personne à cause de ça. Parce qu’on perd totalement l’estime de soi, alors comment imaginer gagner celle des autres ?"
Vous ne vous donnez pas le beau rôle dans le livre, vous vous mettez à nu. Il fallait faire fi de sa pudeur ?
"Oui. Je pense qu’à partir du moment où vous écrivez ça, vous ne pouvez pas vous fixer de limite au nom de la pudeur parce qu’alors, vous trichez. Je raconte une scène où je suis devant le frigo, la nuit, à poil, assis sur un tabouret et je vide le frigo. Mon fils me surprend au moment où je finis son gâteau d’anniversaire. C’est l’humiliation. Cette scène, dans la forme, peut paraître impudique, mais elle est nécessaire. Je suis persuadé que beaucoup de lecteurs vont penser qu’ils ont vécu la même chose. Je ne me donne pas le beau rôle parce que je ne joue pas un rôle. Le fait que j’en sois sorti, que je sois délivré des tourments, est le beau rôle de ma vie."
Depuis que vous êtes sorti de la clinique, vous n’avez plus eu de crise de boulimie ?
"Non. Après, il y a eu tous les travaux de reconstruction, les opérations… Mais je sais que les tourments ne seront plus jamais là. Aujourd’hui, je peux manger n’importe quoi, je suis à satiété très vite. Je suis vraiment délivré et je savoure chaque jour qui passe."
Le regard des gens comme une blessure
Ce livre est souvent très drôle mais aussi terriblement émouvant. La manière dont Guy Carlier parle de la mort est également bouleversante. Moins 125 est un ouvrage qui va bien au-delà des problèmes de poids…
"Bien sûr. C’est pour ça que je l’ai sous-titré ‘L’amour monstre’. Je pense que toutes les addictions sont liées à la gestion de nos émotions, à la peur. Quand vous êtes trop sensible, vous avez une fragilité et vous avez tendance à régler vos problèmes de peurs par l’addiction. Alors que la seule chose qui vaille, le sens de la vie, c’est la quête de l’amour absolu. J’étais aussi un boulimique affectif. C’était en permanence ‘Dis-moi que tu m’aimes’. Et je faisais beaucoup de mal parce que quand on me le disait, je ne pensais pas que c’était possible. Je n’envisageais même pas de relation physique, c’était grotesque dans mon état."
Vous l’avez rencontré, cet amour-là ?
"Oui, c’est arrivé tard. J’ai eu une vie très difficile, par certains côtés mais très privilégiée par d’autres. C’était presque du gâchis. Je réalisais tous mes rêves d’enfant : la radio, la scène, écrire pour Johnny Hallyday (il est l’auteur de Ce qui ne tue pas nous rend plus fort, sur l’album Ma vérité, NdlR ). D’un autre côté, il y avait ce drame, cette image épouvantable, le regard des gens comme une blessure."
L’humour, dans ce livre, c’est la politesse du désespoir ?
"C’est une politesse, mais c’est mon style. J’adore le contre-pied en écriture. Ne pas se vautrer dans l’émotion un peu putassière. Certaines situations sont tellement émouvantes d’elles-mêmes qu’il n’y a pas besoin d’en rajouter."