Avec la série "Watchmen", Damon Lindelof revisite avec brio la BD culte d'Alan Moore
BeTV a entamé le 21 octobre la diffusion de la série HBO la plus attendue de cet automne. Après avoir découvert en primeur les six premiers épisodes (sur neuf) voici pourquoi elle a retenu notre attention - sans spoiler.
Publié le 22-10-2019 à 14h59 - Mis à jour le 22-10-2019 à 16h30
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BeTV a entamé le 21 octobre la diffusion de la série la plus attendue de cet automne. Produite par HBO, Watchmen surfe sur la vogue des justiciers masqués en alliant une des séries-cultes des années 1980 avec l'un des concepteurs de séries les plus fameux des vingt dernières années, Damon Lindelof (Lost, The Leftovers). Après avoir découvert en primeur les six premiers épisodes (sur neuf) voici pourquoi elle a retenu notre attention - sans spoiler.
- 1. Si Lindelof prend plusieurs libertés avec la BD d'origine, il respecte le concept créatif : imaginer une réalité alternative à partir des tensions de notre monde. La peur de la guerre atomique hante le roman graphique original, conçu en 1986 par Alan Moore (scénario) et Dave Gibbons (dessins). Désormais, c'est la question raciale qui fait office d'épée de Damoclès.
Dans le flashback d'ouverture, les Afro-Américains de Tulsa (Okhlahoma) sont massacrés par le Ku Klux Klan en 1921. Allusion directe aux premiers vigilante masqués de la mythologie américaine : les klansman. Dans l'Amérique de 2019, les Afro-Américains ont reçu du président Robert Redford (élu depuis 1992) des compensations financières pour les crimes du passé.
En a résulté un mouvement terroriste suprémaciste, le 7e Kavalry (allusion au général Custer et au Klan). Pour protéger leur identité, les policiers sont autorisés à porter un masque. De là à ce que certains se comportent comme des justiciers, il n'y a qu'un pas. Quand un policier est exécuté par un Kavalier, une guerre raciale menace d'éclater.

- 2. Lindelof, comme à son habitude et à l'instar de Moore, compose un récit éclaté. Les diverses facettes de cet univers alternatif sont révélées au fil des épisodes, ainsi que ce qui ressemble à un complot. Comme dans la BD, chaque épisode est centré sur un protagoniste. Lindelof ne reprend à ce stade que trois personnages des Watchmen originaux. Laurie (Jean Smart) traque pour le FBI les justiciers masqués. Officiellement mort, Adrian Veidt (Jeremy Irons) vit reclus dans un château, tel un Howard Hugues psychopathe.
Quant à Doc Manhattan, exilé volontaire sur Mars, il n'apparaît que dans des images d'actualité. Parmi les nouveaux venus, il y a le chef de la police de Tulsa (Don Johnson), la flic afro-asiatique Angela Abar (Regina King) qui opère masquée sous le nom de Sister Night, et son collègue Wade, alias Looking Glass (Tim Blake Nelson). Son passé, révélé dans l'épisode 5, est particulièrement intéressant.
- 3. La série contient plusieurs références à la BD et au film qui en a été tiré en 2009, un jeu plaisant pour les fans. La candidature de Redford y était annoncée en épilogue. A la fin du premier épisode, une goutte de sang macule un badge comme celui du comédien dans le premier épisode de la BD. Le cinquième épisode s'ouvre sur un flashback situé durant la catastrophe qui concluait la saga.
Wade mange des beans froids, tel Rorschach, dont le masque inspire celui des Kavaliers. Le sénateur qui a initié la loi autorisant les policiers à se masquer est le fils de celui qui a rendu illégaux les justiciers masqués. Le motif de l'horloge et du décompte avant la fin du monde reviennent...

- 4. Moins installée dans la culture des héros masqués que le Watchmen version comics, Lindelof évite la surenchère façon Marvel. Son monde polarisé est familier. Il est aussi ambigu : si la version sublimée d'une Amérique ultra-nixonienne débouchait chez Moore sur une société proto-fasciste, celle d'un pays dirigé depuis vingt-cinq ans par l'ultra-progressiste Redford concrétise les pires cauchemars des électeurs de Trump : des minorités dominantes, des Blancs relégués dans des bidonvilles (celui de Tulsa s'appelle Nixonville !), des policiers dont les armes sont verrouillées à distance, des trillionnaires asiatiques dépossédant les Américains de leur terre...
Il est encore difficile de présumer de l'évolution de la série. Beaucoup de questions restent ouvertes. Qui guide le 7e Kavalry ? Que recèle l'histoire familiale de Sister Night ? Qu'est-il arrivé à Veidt ? Qui est le vieil homme (Lou Gossett Jr) ? De la pertinence des réponses dépendra le verdict : l'exercice de Lindelof est-il digne de son modèle ou poudre aux yeux (comme la fin décriée de Lost) ? Et si les spectateurs devaient crier au scandale, la réponse de Lindelof est dans le titre de l'épisode 4 : If you don't like my story, write your own. (Si mon histoire te plait pas, écris la tienne).