Le massacre des Rohingya décrypté au fil des mois comme un fait-divers
Un film analyse le processus de nettoyage ethnique de cette minorité musulmane. Arte, 22 h 20.
Publié le 22-10-2019 à 15h00 - Mis à jour le 22-10-2019 à 15h03
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Un film analyse le processus de nettoyage ethnique de cette minorité musulmane. Arte, 22 h 20. Dans un documentaire édifiant, Rohingya, la mécanique du crime , Gwenlaouen le Gouil décrypte l’épuration ethnique perpétrée par l’État birman il y a deux ans sur la minorité musulmane des Rohingya.
Comment avez-vous été amené à enquêter sur ces massacres ?
J’ai effectué mon service militaire dans le cadre de la coopération à l’ambassade de Bangkok entre 1999 et 2001. J’ai sillonné la région et depuis, je n’ai cessé d’aller en Birmanie pour faire des reportages pour Arte. Au début, c’était essentiellement sur les guérillas en lutte contre le pouvoir central dans les zones frontières, sur ces minorités comme les Wa, les Shan ou les Karen qui mènent un combat pour une autonomie politique et pour contrôler un territoire. En 2012, il y a eu des violences à l’encontre des Rohingya, que je ne connaissais pas, sur la frontière ouest avec le Bengladesh. C’était des violences très différentes, religieuses, de type progroms : des gens d’une ethnie différente s’en prenaient à eux, protégés par les policiers et les militaires du coin. C’était le début de la mise à sac des villages et la construction d’un premier camp, qui comptait au début 170 000 Rohingya qu’on avait chassés de leurs villages. Ce fut alors défini comme un camp de concentration par les politiques. J’y ai réalisé un premier reportage pour Arte à l’hiver 2014-2015.
Qu’avez-vous découvert ?
J’ai eu la confirmation que les violences à l’encontre de cette minorité musulmane étaient très différentes de celles qui étaient dirigées contre les autres minorités. J’ai suivi le moine qu’on voit dans le film, U Wirathu, qui parcourait le pays en appelant la population à majorité bouddhiste à chasser les Rohingya, à les tuer. Et ce, encouragé et financé par les généraux. J’ai eu le sentiment que même s’il y avait eu des violences innommables en 2012, le pire était devant nous. Malheureusement, la suite m’a donné raison. En 2017, on a assisté à ce qu’on qualifie d’acte final dans le nettoyage ethnique, le moment où ils ont chassé plus de 700 000 personnes en quelques semaines. J’ai eu la preuve que c’était effectivement organisé, pensé, planifié. Et j’ai eu envie de faire ce film pour revenir sur la mécanique du crime, les phases du nettoyage ethnique. Je suis allé couvrir en septembre 2017 cet exode au Bangladesh et recueillir le témoignage de réfugiés. Et depuis deux ans, j’y suis retourné cinq fois, pour Arte Reportages. En parallèle, j’ai proposé de raconter sous forme de documentaire, pour la Thema géopolitique, un nettoyage ethnique comme on traiterait un fait-divers, avec une scène de crime, des témoins, une préméditation ou pas, etc.
Thomas MacManus, un juriste de l’Université Queen Mary de Londres, parle dans votre film de génocide, même si cela n’a pas été tranché au niveau de la justice internationale. Mais dans votre commentaire, vous parlez de nettoyage ethnique, pourquoi ?
En tant que reporter, je peux prouver que c’est organisé, que ça a été pensé au plus haut niveau depuis des années et expliquer quelles ont été les grandes phases de ce nettoyage ethnique. Ce n’est pas à moi de le définir comme un génocide. Si les généraux birmans sont jugés un jour par la Cour pénale internationale (CPI), on pourra dire s’ils se sont rendus coupables de génocide.
Ce chercheur accuse par ailleurs Aung San Suu Kyi de complicité.
Il est même allé beaucoup plus loin, je n’ai pas tout diffusé. Aung San Suu Kyi aurait pu au moins se prononcer. Elle reste libre de parole. Ce regard sur elle choque les Français, moins les Anglais, qui connaissent mieux le personnage. En Occident, et en particulier en France ces dernières années, nous avons projeté nos fantasmes sur cette personne. Or, tout Prix Nobel de la paix qu’elle soit, elle demeure une femme politique. Elle a toujours refusé de nommer les Rohingya. Encore aujourd’hui, pour elle, ce peuple n’existe pas, c’est un non-peuple. Elle a laissé faire, voire caché ce nettoyage ethnique.