Jehnny Beth sur Arte : "Faire à la télé ce que je portais à la radio"
Arte lance "Echoes with Jehnny Beth" pour mettre en avant des groupes indépendants. Vendredi à 23 h 55.
Publié le 27-02-2020 à 15h06 - Mis à jour le 27-02-2020 à 15h07
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Arte lance "Echoes with Jehnny Beth" pour mettre en avant des groupes indépendants. Vendredi à 23 h 55. Entretien Caroline Gourdin
La chanteuse et comédienne Jehnny Beth lance sa propre émission musicale. Dotée d’une belle énergie, Echoes with Jehnny Beth propose trois concerts et provoque le débat entre trois groupes qui se répondent. La chanteuse de Savages prépare aussi la sortie de son premier album solo, le 8 mai, To love is to live, et sera, fin juillet, à l’affiche du film Kaamelott.
Qu’est-ce qui a présidé au choix de vos invités pour cette première émission (sur une programmation de 5 ou 6 par an), que sont les groupes anglais Primal Scream, Idles et Life ?
Le choix est fait de manière instinctive. Je fais la programmation avec Johnny Hostile et on a tendance à aimer ces groupes, ces personnalités qui ont quelque chose à dire, à montrer, qui ne se cachent pas, qui prennent des risques, qui sont incarnés. Johnny est le programmateur, et Antoine Carlier s’occupe de la direction artistique. À la base, Walter Films Production travaille beaucoup dans la mode, pour Chanel, et j’ai déjà collaboré avec eux sur des captations live de groupe comme Savages, Gorillaz, Interpol et The XX, souvent des gens que je leur présentais. Ils sont venus vers moi après l’appel d’offres d’Arte.
Pourquoi avoir accepté ?
J’ai fait deux ans d’émissions de radio sur Beats 1, la radio d’Apple Music. Je préfère la radio parce qu’il y a quelque chose de plus musical, même dans les conversations. Mais je me suis dit que ce serait génial de faire à la télé ce que je portais à la radio, cette espèce d’entretien intime, et d’artiste à artiste. En télé, c’est frustrant, le manque de représentation des artistes musicaux. On les fait peu parler ou on leur demande de couper leur morceau en deux ! C’est comme si on avait peur de leur point de vue sur la société, la culture. Il y a énormément d’artistes et de groupes, notamment mes copains anglais, qui ne demandent que cela, qui ont plein de trucs à dire. Cette proposition est arrivée à point, par rapport à mes envies et à l’époque.
Vous pouvez mettre en avant vos propres goûts musicaux ?
Oui, et la communauté à laquelle j’appartiens. Le hip-hop a sa propre communauté, ses émissions, ses regroupements. La nôtre est en manque de représentation.
Comment la définissez-vous ?
On ne peut pas la ramener qu’au rock, ou à une musique à guitares. C’est une communauté très éclectique, une musique moins représentée par les médias, plus indé. Le genre musical m’importe peu, je recherche surtout des artistes qui ont des choses à dire et qui aiment aussi se produire en concert.
Y a-t-il un côté engagé ?
Je ne suis pas militante. C’est naturel pour moi. Et je suis très honorée de pouvoir faire exactement ce que j’ai envie de faire. Pour faire quelque chose de bien, il faut plutôt n’en faire qu’à sa tête et ne pas avoir peur. Si ça ne plaît pas, on arrêtera, mais on fait tout pour que ce soit une émission de qualité.
Est-ce une manière aussi de faire connaître des artistes ?
Il y a un côté découverte mais je ne suis pas là pour faire leur promo. Je suis plutôt là pour représenter une époque et une pensée et la pensée qu’ils veulent exprimer à ce moment-là, et j’aimerais que Echoes soit la captation d’une vibration de l’époque, des enjeux, des questionnements artistiques, sociétaux et culturels du moment.
Le concept de l’émission tourne à chaque fois autour de trois artistes ou groupes qui ont des correspondances ?
On essaie de sentir comment leur musique peut se répondre et comment il peut y avoir des différences et des assemblages. Pour le troisième groupe, une jeune découverte, on demande aussi aux deux autres groupes s’ils ont des suggestions, parce que cela peut faciliter la conversation. C’est le cas entre Idles et Life. Pour le deuxième épisode (diffusé au printemps), on est avec King Krule et Beak et une jeune découverte, Nilufer Yanya, compositrice, guitariste et chanteuse, qui a déjà collaboré avec King Krule. Sur les thématiques, je prépare les interviews avec ma sœur Maud Berthomier, auteure de Encore plus de bruit, pour préparer les interviews. Je veux garder quelque chose de léger, du rire, de l’impro. Mais on n’est pas non plus backstage avec des bières. On est sur un plateau qui a une certaine élégance, une façon de servir la parole et de faire honneur aux artistes. On veut que cette parole soit prise au sérieux et mise en scène de manière esthétique.
Les artistes expliquent en plateau que la société n’aide pas les jeunes, évite qu’ils réfléchissent trop par eux-mêmes. Avez-vous pris le micro pour lutter contre cela ?
Complètement. Quand j’ai écrit Shut up dans le premier album des Savages, c’était clairement à propos de ça. J’ai compris très tôt qu’il fallait se méfier, garder les droits sur les choses, et c’était un vrai combat. Ça a été vital d’échanger avec d’autres musiciens, d’écouter leurs conseils. Il faut se regrouper, communiquer, être solidaires, contrairement aux groupes des années 90 qui se chamaillaient à travers la presse. Nous sommes une génération d’artistes sont plus bienveillants par rapport aux autres, tout en restant dans une version individuelle, personnelle, de l’art, de la pensée artistique.
Avez-vous des références en matière d’émissions musicales ?
J’ai grandi en France, avec Nulle part ailleurs, qui proposait un live à la fin et c’était frustrant parce que les artistes n’étaient pas toujours interviewés. Ils l’étaient parfois et j’ai découvert beaucoup de groupes comme ça. J’ai beaucoup écouté aussi John Peel à la BBC ou Bernard Lenoir sur France Inter.
Quelle est la tendance de votre album solo ?
C’est un album très éclectique, qui a énormément de textures, assez collaboratif. J’ai notamment travaillé avec Johnny Hostile, avec Romy Madley Croft des XX ou avec le producteur anglais Flood. C’est un album très cinématographique, visuel, pour lequel je vais partir en tournée dans deux semaines, le 8 mars, à Londres, à Austin, Texas, puis dans toute l’Europe, à Barcelone, Paris, Berlin…, aux Etats-Unis et au Canada. J’ai déjà beaucoup tourné sur les deux albums de Savages, je continue sur la même lancée.