Marion Montaigne, la science du neuvième art
Publié le 02-03-2020 à 19h17 - Mis à jour le 02-03-2020 à 19h18
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"Tu mourras moins bête" revient, dès lundi à 20 h 50, sur Arte.
Le professeur Moustache, avec la voix de François Morel, nous parle du plaisir féminin, des pervers narcissiques, des corbeaux voyageurs de Game of Thrones, du fonctionnement de l’érection… Tout à trac, les questionnements farfelus de Marion Montaigne surgissent pour mieux vulgariser une science souvent anxiogène dans l’énergie de son trait. Dès qu’elle a compris un sujet, l’artiste s’ingénie à nous l’expliquer en seulement 3 minutes. "Tu mourras moins bête" êê oui "mais tu mourras quand même."
Où piochez-vous toutes vos idées ?
Je me documente à partir de thèses incroyables. Là, j’essaye de faire un truc sur la transpiration des enfants. Des chercheurs expliquent pourquoi l’enfant sent davantage au niveau du cou et l’adolescent, au niveau des aisselles. C’est à cause d’une bactérie très particulière. Passionnant ! Une étude statistique porte sur les blessures des bébés quand ils apprennent à marcher avec leur petit déambulateur. Comme ils ont les mains occupées, ils ont moins d’accidents. Par contre, ils ne voient pas les marches. C’est horrible. Et un peu cruel. C’est la vie même, avec des probabilités de se faire mal.
Un premier bobo mal soigné vous a-t-il conduit à écrire vos BD ?
Je ne sais pas d’où ça vient. Je suis une grande anxieuse. Je préfère qu’on me dise la vérité et qu’on en rigole, plutôt qu’on me mente. Je n’aime pas la publicité. Je préfère un bon journal de la santé avec des images d’opération, des explications, les risques statistiques, plutôt qu’on me vante des images magnifiques. Je trouve surtout que la science est un petit pas de côté, en dehors de l’économie. Les scientifiques font des trucs un peu artistiques. C’est poétique et surréaliste de les imaginer suivre des bébés. Au premier abord, ça semble anti-productif.
C’est la poésie de l’inutile ?
Cela peut être utile pour certains, mais c’est pour la beauté de l’art. Il y a des similitudes avec nous, les artistes. Les chercheurs vont passer des années sur leur thèse. Tout le monde s’en moque. Ils en sortent épuisés, un peu comme nous après un livre, une BD. Et personne ne nous lit ! On est un peu en dehors de l’économie, où il faut absolument être rentable pour la société.
Comment votre BD s’adapte-t-elle en animation ?
Les animateurs doivent apprendre à dessiner comme moi. Un story-boarder la découpe et la pense différemment. Dans la BD, le lecteur lit le bloc de texte et ensuite il voit l’image. Dans l’animation, c’est une voix off qui lit le texte et il faut occuper visuellement le téléspectateur, amener différemment le gag. C’est un autre rythme. Ce sont des professionnels qui s’en chargent, c’est un vrai métier.
Votre aïeul, Luc-Olivier Merson, a reçu le prestigieux Prix de Rome.
Il doit se retourner dans sa tombe ! Il dessinait sur des billets de banque, a réalisé le grand Christ du Sacré-Cœur de Montmartre. C’est mon arrière-arrière-grand-père, mais je ne sais plus à quel grade. S’il y a un seul "arrière" ou deux "arrière"…
Et vos parents ?
Mon père travaille à EDF-GDF et ma mère était femme au foyer. J’ai deux grandes sœurs et un grand frère, des triplés. C’était la panique à bord ! Je suis la quatrième.
Quels auteurs vous ont inspirée ?
Bien sûr Franquin et Tintin. J’adore les Schtroumpfs. C’est plein de personnages que l’on pourrait développer, en faire des spin-off, des épisodes spéciaux. C’est très bizarre, pourquoi ne vieillissent-ils jamais ? Pourquoi le grand Schtroumpf est-il vieux et pas les autres ? Ça veut dire qu’il a été tout seul quand il était jeune ? Est-ce que le grand Schtroumpf va mourir un jour ? Ils ont beaucoup de questions à poser à leur créateur.
Et graphiquement ?
Enfant, les dessins de Gotlib ou Reiser me fascinaient. Le trait n’était pas forcément flatteur, mais la recherche dans le dessin était juste, efficace. Je ne cherche pas à faire beau. J’aime bien que le dessin soit presque aussi rapide que l’écriture, que les personnages vibrent. Je dessine comme si j’écrivais à la plume.
Présidente du jury du 47e Festival d’Angoulême, vous avez interpellé le ministre de la Culture sur le sort des artistes de BD.
Ils sont de moins en moins bien payés. En 2014, la dernière enquête des États généraux de la BD révélait déjà que plus d’un tiers des artistes vivaient sous le seuil de pauvreté et plus de la moitié gagnaient le Smic.