"Libération" au coeur d'une restructuration inédite: "Le journal ne pourra plus être racheté ou vendu"
Laurent Joffrin, directeur de « Libération », explique comment Patrick Drahi compte aider le quotidien français.
- Publié le 21-05-2020 à 11h59
- Mis à jour le 21-05-2020 à 12h03
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Patrick Drahi, l’homme d’affaires franco-israélien à la tête du groupe Altice (BFMTV, RMC, L’Express, SFR…), vient d’annoncer la création d’un fonds de dotation pour “Libération” afin d’assurer l’indépendance financière et éditoriale du quotidien. Pourquoi créer une entité juridique apparentée à une fondation, non cessible, non capitalistique et à but non lucratif ? Laurent Joffrin, directeur de « Libération », répond.
Vous affirmiez que jamais l’indépendance de « Libération » n’avait été menacée. Alors, pourquoi soutenez-vous un fonds de dotation qui vise justement à garantir sa liberté éditoriale ?
Pour le principe et pour l’image. Le fait que des journaux majeurs soient la propriété de groupes industriels jette un doute dans l’esprit du public qui suspecte une intervention des actionnaires. Alors que sur le plan rédactionnel, nos statuts nous en protègent. Seule la structure économique change. « Libération » devient une société à but non lucratif. Le journal ne pourra plus être racheté ou vendu. C’est un modèle qui est préconisé par ceux qui réfléchissent sur les médias. Au Royaume-Uni, le « Guardian » a déjà adopté cette solution en s’adossant à une riche fondation. Et « Mediapart » a aussi choisi cette option.
Quels bénéfices pour « Libération » ?
L’effacement des dettes, entre 45 et 50 millions d’euros, au moment du transfert. Le groupe Altice a versé de l’argent pour rééquilibrer les comptes, pour combler les déficits et les investissements en termes d’embauches, d’évolution informatique... Il abandonne sa créance pour la passer en pertes comptables.
Patrick Drahi continue donc de vous soutenir, non plus comme actionnaire mais comme donateur. Sur le plan fiscal, c’est très avantageux.
La défiscalisation est partielle. C’est la règle pour tout le monde en France. Si, par exemple, vous donnez à Médecin sans Frontières, vous êtes défiscalisé en grande partie, mais vous devez payer le reste. C’est moins coûteux, mais ce n’est pas gratuit.
Parmi les 130 titulaires de la carte de presse, prévoyez-vous un plan de départ comme il y a 6 ans, avec l’arrivée de l’actionnaire ?
Selon la loi, les journalistes peuvent faire jouer clause de cession avec le changement de statut. Mais je ne le souhaite pas.
Quels seront-les modalités de la dotation?
Pour l’instant, la discussion est en cours. Comment recevoir l’argent ? Quel montant ?...
Ce fonds sera gouverné par un conseil d’administration de trois personnes : Arthur Dreyfuss, directeur général d’Altice Médias France, Laurent Halimi, directeur M & A d’Altice Europe et moi-même. Ensemble, nous déciderons de l’affectation des fonds. Ma présence est une garantie de continuité.
Pourquoi n’avoir pas associé les salariés à cette évolution ?
Patrick Drahi l’avait décidé, c’est lui l’actionnaire et pas nous. Mais la question de la gouvernance va s’ouvrir. Pour l’instant, il faut d’abord créer la fondation qui existera à l’automne.
Pourquoi Patrick Drahi veut-il garder « Libération » ?
Je ne connais pas ses arrières pensées. Mais, depuis six ans, il a toujours fait ce qu’il dit. Ce qui me donne un contrat moral. Il souhaite, aussi, accompagner personnellement le quotidien dans les années qui viennent. C’est le premier journal qu’il a acquis. Il a une sympathie pour nous. Mais l’avenir reste incertain, que l’on soit filiale ou fondation, la réponse viendra au fil du temps. J’espère que nous aurons amélioré la situation économique de "Libération" et que le besoin de financement sera moindre. Depuis le début de l’année, nous avons réussi une assez belle conquête en termes d’abonnés numériques. Leur nombre a doublé pour atteindre un chiffre supérieur à 40 000. L’avantage du numérique est le suivant : si vous servez deux abonnés ou deux mille, cela vous coûte la même chose. Dans l’immédiat, nous sommes assurés de recevoir une dotation qui nous permettra de vivre. Ensuite, nous verrons. Le statut des fondations prévoit de recevoir d’autres donateurs sans pour autant qu’ils disposent de pouvoir dans la structure, selon les règles des fondations qui sont des entités non lucratives. Le comité de direction peut aussi refuser un donateur, si c’est un trafiquant d’armes. Mais il peut aussi accepter des gens honorables.