Hitler, le mafieux: "C'est Chicago en Bavière, cette image-là est absolument ahurissante"
Comment Hitler a scellé son emprise par le sang. Édifiant. À 20 h 50, sur Arte.
- Publié le 25-08-2020 à 11h51
- Mis à jour le 25-08-2020 à 14h45
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"C’est le Hitler gangster, c’est les nazis mafieux, c’est Chicago en Bavière cette opération-là. L’idée d’un Hitler en imperméable et chapeau mou, revolver à la main, qui conduit lui-même ses hommes sur le lieu de l’assassinat de nombre de ses compagnons, cette image-là est absolument ahurissante. On est au cœur du XXe siècle, au cœur de l’Europe et vous avez un chef de gouvernement qui mène une opération d’assassinat", résume Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne. Avec d’autres historiens français et allemands, il analyse le récit chronologique qui conduit jusqu’à cette fameuse "Nuit" du 30 juin 1934.
Hitler, chancelier depuis un an et demi, arrête son frère d’arme, Ernst Röhm, accusé de trahison. L’opération menée contre ce chef de la Sturmabteilung (SA) - qui compte dix fois plus de membres que l’armée et noyaute la police - ne dure pas plus de 10 minutes. Elle détruira les dernières fondations de l’État de droit. S’ensuivra une vague d’assassinats ciblant les dignitaires de la SA ainsi que les opposants conservateurs et catholiques. Les soldats prêteront serment à la personne du Führer et non plus à l’État. Ils se sentent désormais liés de manière sacrée aux idées et aux ordres d’Hitler, ce qui rend toute rébellion au sein de l’armée allemande impossible.
Le 31 décembre 1933, c’est-à-dire 6 mois avant cette fameuse "Nuit", Hitler écrit ces mots dans une lettre qu’il tient à rendre publique : "Je me dois de te remercier, mon cher Ernst Röhm, pour les inestimables services que tu as rendus au nationalisme et au peuple allemand. Sache que je rends grâce à la destinée de pouvoir donner à un homme tel que toi le nom d’ami et de frère d’arme. Avec toute mon amitié, toute ma reconnaissance et toute ma considération. Ton Adolf Hitler."
La SA, section d’assaut cofondée par Hitler et Röhm en 1921 à Munich, a participé à la conquête du pouvoir. Groupe paramilitaire du parti nazi, il repose sur une histoire d’amitié, de combat partagé depuis plus de 15 ans et de fascination. Röhm reconnaît en Hitler le génie politique qui va sauver l’Allemagne.
Hitler, lui, reconnaît en Röhm le génie militaire qui sait diriger les troupes. Mais Ernst Röhm aspire à une "seconde révolution sociale", à la nationalisation des moyens de production. Ce courant idéologique du national-socialisme inquiète la bourgeoisie. Hitler, quant à lui, préfère la stratégie électorale. La crise de 1929 avec l’explosion du chômage et la famine dans certaines régions représente une aubaine. Tout comme la mort du président Hindenburg, le 2 août 1934.
Le crime fondateur
Cette opération criminelle d’État aura envoyé un message d’intimidation et marqué un point de transition. Les "microcamps" de concentration que les SA avaient installés dans des caves de bistrots pour torturer et massacrer leurs opposants vont servir de modèle à des camps plus grands suivant un modèle identique, celui de Dachau.
La comédienne Céline Sallette commente les archives éclairantes et intelligibles de ce récit réalisé par Marie-Pierre Camus et Gérard Puechmorel. Avec pédagogie, La Nuit des longs couteaux montre comment une dictature peut s’établir selon un processus progressif, avec l’appui des corps constitués et des élites d’un pays.Virginie Roussel