"Le mouvement ultra transcende les classes sociales"
Sur Arte.tv, les épisodes de "Tribunes libres" permettent de rencontrer de vrais mordus de football.
- Publié le 03-09-2020 à 12h39
- Mis à jour le 03-09-2020 à 12h42
:focal(945x623:955x613)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/FOU3UDTUCBC2JBBBE3VGP3EO2M.jpg)
Les fans de football n’ont pas toujours la cote. Dans le but de sortir des clichés, Arte a lancé Tribunes libres - La culture ultra , une websérie de sept épisodes d’une dizaine de minutes pour aller à la rencontre des membres du mouvement ultra (ces fans invétérés d’un club de football qui animent les tribunes) de sept équipes : Bordeaux, Liverpool, Marseille, Lyon, Lens, Donetsk et Saint-Étienne. Le but affiché : "comprendre la dimension culturelle, sociale et politique de leur passion". La réalisatrice, Pauline Horovitz, a signé deux épisodes consacrés à deux clubs mythiques de l’Hexagone dotés de supporters chauds : l’Olympique de Marseille et l’AS Saint-Étienne.
Dans l’épisode marseillais, vous êtes, d’emblée, très claire : vous ne connaissiez pas grand-chose au football avant de vous engager… Comment ça s’est fait ?
J’aime bien voir des matchs avec des amis qui connaissent bien le foot mais je ne suis quasiment pas l’actualité footballistique et je n’étais jamais allée au stade. Chez Arte, ils m’ont dit, justement, qu’ils souhaitaient quelqu’un qui n’y connaissait rien. Quand la chaîne m’a demandé d’y participer, j’avoue que je leur ai dit : "Quelle idée ?" Je suis très myope, l’idée de voir un match de loin dans un stade n’était pas naturelle. J’ai peur de la foule… Et puis, en tant que femme, l’espace public, le stade ou la rue ne sont pas vraiment des lieux où l’on a vraiment envie de traîner. Ce n’était pas évident pour moi pour toutes ces raisons. Comme j’aime bien me confronter à ce qui n’est pas évident, j’ai accepté. On m’a "imposé" Marseille, j’ai proposé Saint-Étienne. Je devais, aussi, réaliser un épisode au Borussia Dortmund, j’avais commencé un travail de repérage mais c’est tombé à l’eau avec le Covid.
Vous aviez des clichés en tête qui auraient été effacés après avoir travaillé sur le sujet ?
Je n’avais pas d’idées préconçues car c’était un monde très éloigné de moi. C’est sans doute un biais de sélection, mais tous les gens que j’ai rencontrés étaient tous hyper gentils. Ce n’était pas une surprise car je le sentais bien quand je leur parlais, et c’était des gens qui m’avaient été recommandés. Et puis, n’ayant pas de préjugés, je ne venais pas pour faire un film sur la violence au stade. Les gens étaient bien disposés par rapport à ça. Par contre, une fois au stade, c’était docteur Jekyll et M. Hyde. C’était impressionnant de voir comment les ultras que j’ai filmés se transformaient. L’un d’eux m’a dit : "Je sais, ma femme pense la même chose que toi. Elle ne veut plus venir avec moi." Je crois qu’il y a l’effet de groupe, et puis c’est volontaire. Il y a cette notion d’occuper le terrain, il faut impressionner l’adversaire. Et ça passe par les chants guerriers, les invectives. Le but, c’est de jouer un rôle de douzième homme. On a beaucoup parlé politique, ils sont, en général, très conscients des enjeux de la société dans laquelle ils vivent. En tant que cinéaste, c’était des personnages très beaux, très cinématographiques, pas du tout dans l’image du supporter aviné, complètement crétin…
Dans l’épisode consacré aux Girondins de Bordeaux, un des membres du groupe Ultramarines évoque la mixité de ces groupes. "Qu’on ait très bien réussi sa vie ou qu’on soit chômeur, il n’y a aucun jugement…" C’est votre ressenti ?
À Saint-Étienne et à Marseille, aussi, le milieu ultra transcende les classes sociales, c’est vrai. Je pense que c’est aussi pour cela que ces espaces sociaux sont aussi importants pour eux. Je suis historienne de formation et ça m’a rappelé les confréries au Moyen Âge. On est confrères avant tout, avant d’être tailleurs ou conseillers à l’hôtel de ville. Il y a quelque chose de cet ordre-là. Notamment, lorsque les groupes font bloc dans l’espace public avant d’aller au stade. Et puis, il y a beaucoup de femmes aussi. Je n’ai pas du tout été confrontée à des propos sexistes ou masculinistes durant mes tournages.
Vous avez justement rencontré Cécile, une femme ultra marseillaise, fondatrice des Cagoles, un mouvement fondé par des supportrices de l’OM.
Les gens ont découvert qu’il y avait des femmes au stade en 1998 mais ça faisait des années qu’elle y allait pour sa part. C’est une habituée du Vélodrome depuis toute petite. Elle n’était pas la seule. À Marseille, il y a beaucoup de femmes en virage. Cécile est une vraie passionnée. À tel point qu’elle parle de se faire tatouer une image de l’ancien stade Vélodrome… Et puis, son père avait appelé son chien Waddle, du nom de Chris Waddle, l’un des joueurs les plus célèbres de l’histoire du club. Cécile travaille dans la musique, elle est passionnée de rock depuis toujours. De nombreux ultras sont très liés à ce milieu, aux concerts, au spectacle vivant. C’est très important pour eux d’être au stade ou dans une salle de concert avec les autres et pas devant un écran.
La notion de fidélité des supporters est assez irrationnelle : "35 ans d’histoire d’amour, je ne connaîtrai jamais ça avec une femme", explique Jean-Philippe, un supporter des Verts qui a vécu deux divorces…
Ils ont tous ce rapport d’amour coûte que coûte que je trouve très touchant. Notamment, lorsque l’on voit l’évolution du football aujourd’hui. Il faut avoir la foi pour supporter le même club, malgré les résultats en dents de scie, les joueurs et les dirigeants qui passent. Encore plus à Saint-Étienne, car 76, l’année de la finale européenne perdue face au Bayern Munich, c’était il y a longtemps. Il y a beaucoup de mélancolie chez les supporters des Verts car ils ont vécu de grandes heures et un passé très écrasant. Jacques, un ancien supporter, m’a dit : "On est une ville mythologique, on est un peu le musée du football." C’est dur de vivre dans un musée…
La websérie "Tribunes libres" est à découvrir sur le site d’Arte.tv : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017839/tribunes-libres/