La “sexperte” Maïa Mazaurette: "Il y a toujours une excuse pour qu’on ne puisse pas parler de sexe"
La "sexperte" Maïa Mazaurette débarque sur Inter et dans "Quotidien".
Publié le 17-09-2020 à 13h13
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C’est une fille simple, débarquée de New York il y a trois semaines. Pour embrasser une nouvelle vie parisienne, ponctuée de chroniques, le vendredi dans La Bande originale sur France Inter, du mardi au vendredi dans Quotidien sur TMC, le dimanche dans Le Monde. Si Maïa Mazaurette est journaliste, cette "sexperte" se revendique comme chroniqueuse, engagée, féministe. Son principal fait d’armes : oser parler, à heure de grande écoute, de sujets tabous, longtemps délaissés par les rédactions. En parler avec recul, intelligence, et piquant. Pour titiller nos inhibitions, pour briser la déprime que lui inspirent les pratiques sexuelles du plus grand nombre. Et pour que cesse la soumission des femmes, et des hommes, à des siècles de conditionnement, à des décennies de diktats imposés par la pub, le porno, etc.
Pensiez-vous, à l’École de journalisme de Lille (ESJ), devenir une spécialiste de la sexualité ?
J’avais déjà proposé des articles sur cette thématique quand j’étais à l’ESJ. On ne m’a pas empêchée de le faire mais c’était perçu comme une bizarrerie. Et cela le reste, dans une certaine mesure, dans les médias aujourd’hui. Cela provoque toujours des ricanements. C’est plus facile de dire qu’on est spécialiste mode, santé ou politique. Beaucoup de personnes n’imaginent pas qu’on puisse être spécialiste en sexe, parce qu’elles estiment qu’on ne peut pas savoir des choses sur la sexualité et qu’on ne doit pas savoir. Les gens ne sont pas forcément au courant qu’il existe des études sur le sujet, en anatomie, sociologie, philosophie. Et même si des gens mentent sur la sexualité dans les sondages, ils ne mentent pas plus qu’en politique. L’autre argument, c’est qu’on ne doit pas savoir, parce qu’il faut laisser les gens faire ce qu’ils veulent. Mais on ne dit jamais à un journaliste politique : il faut laisser les gens voter comme ils veulent. Il ne faut pas non plus en parler parce que les enfants peuvent regarder, parce que dimanche, jour de parution de ma chronique dans Le Monde, c’est le jour du Seigneur, ou parce que c’est le ramadan… Il y a toujours une excuse pour qu’on ne puisse pas parler de sexe.
Vous avez vécu en Allemagne, au Danemark et à New York. Aux États-Unis, en particulier, la manière de parler de la sexualité est-elle différente par rapport à l’Europe ?
C’est un grand pays très clivé, avec les conservateurs qui sont très conservateurs, qui vont jusqu’à l’abstinence, et les libéraux ultra-libéraux pour qui il faut absolument tout casser, déconstruire. Cela s’empoigne beaucoup plus frontalement dans les médias américains. Mais, en France, ce que dit Virginie Despentes (auteure de Vernon Subutex , de King Kong Théorie.. . , NdlR), c’est très radical. Et il faut un tel niveau de conceptualisation pour comprendre la pensée trans, qui veut déconstruire le consensus sur lequel on a basé les règles sexuelles, que cela devient inaudible. Quant à moi, quand je ne suis pas en train de bricoler mes propres théories, j’essaie de démocratiser celle des autres, et c’est passionnant de faire de la pédagogie.
Vous évoquez dans des interviews ces nuits passées à lire des ouvrages dans la bibliothèque d’un ami sexologue de votre père. Une légende ?
Je n’en peux plus de raconter ça ! Cependant, cela m’a permis de ne pas partir en courant quand j’ai bossé pour Playboy et Newlook. Je n’avais pas de réseau et c’était déjà très compliqué à l’époque de démarrer comme pigiste. C’est pratique quand on est jeune journaliste de vouloir faire un truc qui gonfle et gêne tout le monde.
Vous sentez-vous investie d’une mission ?
Oui. Je ne fais pas d’enquêtes de terrain. L’idée d’aller dans des soirées sexe, pour voir en vrai les choses, me déprime profondément. Je suis chroniqueuse. Outre ma passion des chiffres, ma vision des choses est teintée de mon engagement féministe. Ce sont des chroniques systématiquement militantes. Je mène un travail de fond, sur des bouquins et au quotidien, en essayant d’instiller un truc moins négatif que la vision de la sexualité qu’on nous propose d’habitude. Le but est de faire monter le niveau de compétences pour que les femmes acceptent de réclamer une sexualité satisfaisante, mais on ne construit pas les petites filles comme ça. Des femmes qui disent qu’elles sont clitoridiennes, il n’y en a pas. Cela reste tabou.
C’est la représentation qu’on a de la sexualité qui impacte nos vies, au-delà du ressenti ? D’où votre rôle ?
On ne change pas les représentations avec le journalisme ou la chronique, parce qu’on ne crée pas une image à laquelle les gens aspirent. Or, quand les jeunes gens construisent leur sexualité, ils ont envie qu’elle ressemble à celle de personnages de fiction auxquels ils aspirent. L’idée de la chronique est d’arriver à faire changer d’avis sur la sexualité les personnes qui créent des œuvres de fiction. Et peuvent créer la femme sexuelle que les jeunes filles ont envie d’être. Dans le film de Marina Foïs et Jonathan Cohen, Énorme, c’est systématiquement le type qui se met à genoux devant la nana, et c’est dommage d’avoir attendu 2020 pour que ça se fasse.
Pouvez-vous être libre dans vos propos à 20 heures ?
Je ne suis pas trash. J’ai déjà parlé de pertes blanches à 20 heures. Si on le dit sans gêne, même les enfants qui regardent la télé trouveront cela naturel. Les seuls biais par lesquels les jeunes s’informent sur la sexualité sont les parents, l’école, Google, les potes, et le porno. Je comprends la gêne qu’on puisse ressentir, mais l’on voit sur les enquêtes statistiques que les enfants à qui les parents parlent de sexualité ont moins de MST plus tard et moins de grossesses non désirées.