Femme, Arabe, Noir : les minorités (in)visibles à l’écran
Ils sont partenaires dans la série "Invisible" et jouent aussi au théâtre et au cinéma. Comment parvenir à changer la donne et à vivre son métier pleinement en tant que comédien(ne) issu(e) d’une minorité ? Discussions avec les acteurs belges Myriem Akheddiou et Roda Fawaz.
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- Publié le 20-10-2020 à 11h35
- Mis à jour le 25-11-2020 à 07h45
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Un sujet original et intrigant, mais surtout un casting solide : c’est la recette du succès, comme l’ont prouvé les séries belges La Trêve , Ennemi public ou Unité 42 avant même que se profile l’équipe d’ Invisible . Largement puisé dans le vivier des comédiens de théâtre et des acteurs de cinéma belges, le casting de la nouvelle série fantastique met en avant les talents conjoints de Fabio Zenoni (Nathan), Luc Van Grunderbeeck (Victor), Jacqueline Bollen (Angèle), Bérénice Baoo (Valérie) et les jeunes Jérémie Gillet (Pierre), vu dans la série Mytho , Elisa Echevarria (Lily) et Raphaël Lamassaab (Théo).
En têtes de file de ce casting volontairement diversifié - né des désirs conjoints de sa scénariste principale, Marie Enthoven, et de sa productrice, Annabella Nezri -, on retrouve Roda Fawaz (vu dans Unité 42) et Myriem Akheddiou (Le Jeune Ahmed des frères Dardenne), deux comédiens qui brillent régulièrement sur les planches et qui ont pris le train des séries en marche. De quoi se dire que les choses évoluent dans le bon sens, non ? Le comédien Roda Fawaz nous répond avec quelques nuances...
Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis que vous avez joué dans "Unité 42" ?
Grâce aux séries, les comédiens ont une visibilité qu’on n’avait pas avant. J’étais au théâtre en janvier en même temps que je tournais Invisible et, souvent, les gens viennent me voir après la pièce pour me parler de la série. Cela a un impact, c’est sûr. Aujourd’hui on me parle autant de la scène que de la série, jusque dans les coulisses des Magritte (cérémonie de remise des prix du cinéma belge). C’est très intéressant parce que cela sert un autre domaine de la culture, le théâtre, qui a vraiment besoin d’être soutenu. Je ne le fais pas pour cette raison, je vais vers les projets qui me plaisent en fonction de ce qu’il y a à raconter. Mais je vois bien que la série ramène des gens au théâtre et je trouve cela bien.
C’est votre deuxième rôle dans une série, on peut donc se dire a priori que la représentativité avance dans le bon sens. C’est votre sentiment aussi, ou bien cela reste compliqué de ne pas se voir offrir des rôles stéréotypés ?
Je vais être très honnête avec vous : c’est rare, très rare qu’on vous propose des rôles sans stéréotypes. Cela fait partie des raisons pour lesquelles j’ai accepté ces rôles dans ces deux séries. Jouer un policier geek homosexuel qui n’a pas annoncé son homosexualité à ses parents dans Unité 42, c’est évident que ça m’intéresse et cela m’est égal qu’il soit arabe ou pas. Ce n’est pas seulement un rôle que je défends, c’est un projet. Et c’est aussi la raison pour laquelle je voulais vraiment obtenir le rôle d’Ayoub dans Invisible. C’est un personnage magnifique. Il vit avec une femme vraiment spéciale, déphasée... Il est là, il subit les choses, mais il est aimant, il ne se résigne pas : il veut juste prendre soin de son fils Théo. C’est cela qui est beau. Ce sont des rôles riches qui vous donnent envie de vous investir. J’ai passé des castings qui m’ont déjà mis beaucoup plus mal à l’aise parce que les personnages ne me convainquaient pas.
Comment faire, justement, pour éviter le piège des stéréotypes ?
Je travaille avec des directeurs de casting que je connais bien et avec lesquels j’ai ce type de discussions. Ils savent ce que je défends sur scène, au théâtre, et j’ai mon éthique par rapport à cela. Je suis content de voir que cela bouge et que de plus en plus de femmes écrivent aussi parce qu’elles savent ce que c’est ce combat. Je suis très sensible à tout ce qui se passe avec le mouvement #Metoo aussi, parce que je vois bien les pièges dans lesquels certaines peuvent tomber. Il y a vraiment un lien avec ce que les gens issus de la minorité - comme on nous appelle - vivent. On fait croire qu’il y a des changements, on parle de quota, mais ce n’est pas vrai. On le voit bien aux César et ailleurs. On nous dit que cela va mieux mais Omar Sy reste l’arbre qui cache la forêt.
Des voix s’élèvent pour dénoncer cette invisibilité
Je ne crois pas du tout à un mouvement collectif qui va tout arranger, je crois à une prise en main personnelle. Il faut que chacun à sa place se mobilise, sinon ce sont toujours les mêmes qui restent aux commandes. J’ai écrit un stand-up qui parle de cela. Dans mon spectacle, j’accueille les femmes en leur disant qu’elles font partie de la minorité visible, c’est-à-dire qu’elles doivent se battre deux fois plus que les autres pour prouver leur valeur. Elles doivent courir quand les autres marchent et se poser des questions que d’autres ne doivent pas se poser. Je leur dis : "En tant qu’Arabe, je sais ce que c’est d’être une femme." Souvent, elles me disent : "Oui, mais nous, on est majoritaires sur Terre." Et je leur réponds : "Ce n’est pas un argument parce qu’il y a plus de pauvres que de riches dans le monde et pourtant ce ne sont pas eux qui gouvernent." Il faut rester lucide...
J’en discute souvent avec des copines comédiennes, donc cela me touche beaucoup. Et quand ce sont des femmes noires, c’est encore plus compliqué. Car elles font partie de deux minorités qu’on met souvent de côté. Je ne sais pas comment les choses vont évoluer, mais c’est pour cela que je défends très fort mon personnage d’Ayoub. Je suis très attentif à la représentation. Je fais très très rarement des accents sur scène, je refuse de faire l’accent arabe, par exemple, si c’est pour tomber dans les clichés. Parce qu’on ne peut pas se plaindre des clichés incessants si on accepte d’en jouer. Je ne suis pas d’accord avec cela, je ne le cautionne pas.