"Les pressions politiques, religieuses, morales sur l’école existent"
La journaliste Louise Tourret donne la parole aux enseignants dans "Être et savoir" sur France Culture.
- Publié le 20-10-2020 à 06h48
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Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie dans un collège de banlieue parisienne, a été décapité par un jeune homme d’origine tchétchène pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet lors d’un cours d’enseignement moral et critique. Face à cet événement sans précédent, France Culture a bouleversé sa grille des programmes. Louise Tourret, productrice de l’émission Ê tre et savoir, a abordé le sujet dans son magazine hebdomadaire consacré à l’éducation.
Comment avez-vous construit votre émission au lendemain de l’assassinat ?
Je voulais qu’on entende la parole des enseignants parce qu’elle est centrale. Leur manière de travailler, leurs échanges avec les parents… La plupart des enseignants avec lesquels j’ai parlé me disent qu’ils parviennent à dialoguer avec les élèves. Mais certains parents sont animés par un projet idéologique et des points de radicalisation qui, à l’extérieur, détournent le travail de l’enseignant. Cela est arrivé avec les Journées du retrait de l’école qui attaquaient le dispositif des ABCD de l’égalité en 2013. Nous avons aussi parlé de l’école en tant qu’institution. Qu’attendent les enseignants de l’Éducation nationale et de la société pour les soutenir ? Si tout ce qu’ils font en classe est détricoté derrière, il y a un problème. Il faut que les valeurs républicaines d’égalité et d’émancipation soient portées ailleurs qu’à l’école, dans les clubs de sport, les associations, les villes, les médias… Nous sommes dans une société où l’invective l’emporte sur la réflexion, dans les débats des chaînes d’info ou même des émissions de divertissement.
Selon les révélations du "Monde", le père d’un des élèves de 13 ans a lancé un appel à la mobilisation contre l’enseignant sur les réseaux sociaux.
Cette information doit être terrorisante pour les enseignants. Je ne sais pas comment ils le vivent dans cette période loin des élèves… Les pressions politiques, religieuses, morales sur l’école existent. Ce n’est pas nouveau, mais ça prend de l’ampleur avec les réseaux sociaux. On est étonné de ce que les enfants connaissent à partir du moment où ils vont un peu se promener dans les médias numériques et qu’ils sont un peu curieux. Je pense que les adultes doivent absolument en discuter avec les enfants pour leur demander ce qu’ils ont vu, en parler avec eux. C’est notre travail à tous, adultes, et pas seulement aux profs. Et puis, c’est important que les familles comprennent comment fonctionne l’école : c’est un endroit où il y a des règles particulières et on s’adapte. Il faut aussi que les parents comprennent qu’il vaut mieux ne pas aller dans le sens inverse de celui des enseignants : le conflit de loyauté et les discours contradictoires sur l’éducation, ce n’est vraiment pas bon pour leurs enfants !
Il est reproché à l’école ne pas gommer les inégalités, mais avec le confinement, elle a montré qu’elle restait encore le meilleur endroit pour ne pas les creuser.
L’école reste perfectible en matière de lutte contre les inégalités. D’ailleurs, c’est au programme de tous les ministres de l’Éducation.
Pourquoi écrivez-vous que "L’école est bel et bien une obsession française" ?
L’école est l’émanation de la République et elle est censée la "performer", en faire vivre les valeurs. C’est à l’école que l’on devient ce citoyen de la République française, c’est une conception que nous avons en partage. Je ne dis pas que c’est forcément mal, mais je remarque qu’en France, quand il y a un problème de société, on se tourne vers l’école. Pensez à l’éducation au goût ou à la question de l’éducation au numérique. Pour combattre les inégalités, promouvoir la laïcité, éduquer à l’esprit critique, l’école est formidable, mais ça ne peut pas être le seul endroit. L’école doit être relayée et soutenue à l’extérieur.
L’émission "Être et savoir" de ce lundi soir ("Mourir d’enseigner la tolérance") est à réécouter sur franceculture.fr. Avec Iannis Roder, historien, membre du Conseil des sages de la laïcité et responsable des formations au mémorial de la Shoah ainsi que des professeurs d’histoire-géographie.