De la sandale en plastique à l’ULB, il n’y a (parfois) qu’un pas
Florian Vallée se penche sur cette chaussure "madeleine de Proust". Be Ciné, 22 h 05.
Publié le 14-01-2021 à 14h48 - Mis à jour le 14-01-2021 à 14h49
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Dans Depuis quand, son programme court diffusé sur Canal Plus, David Castello-Lopes s’est amusé, sérieusement, à remonter le temps et parcourir le monde pour retrouver "l’origine des choses de la vie". En vrac, les Cahiers de vacances, le jingle de la SNCF, le café gourmand ou encore le surimi. Le Montois Florian Vallée (Les Combattants du poil sacré) a, quant à lui, décidé de se pencher plus longuement sur un objet qui fleure bon le sable chaud, les trous d’eau, les poursuites à vélos, et d’autres souvenirs moins sympathiques : les effluves insupportables du synthétique, les lanières trop serrées et les ampoules aux pieds. Ces bonnes vieilles sandales en plastique qu’on arborait, pas toujours fièrement, dans les nineties. Pour lui, c’est, d’ailleurs, davantage un traumatisme. "Je ne suis pas du tout fétichiste des sandales en plastique. Au contraire, c’est un objet que j’ai détesté étant gosse. On était obligés de les porter pour les vacances. J’en gardais un très mauvais souvenir", assure le réalisateur de L’Odyssée de la sandale en plastique avant de poursuivre. "C’est à l’occasion de plusieurs voyages en Afrique que je suis retombé sur elles, par hasard, et j’ai été surpris du nombre de personnes qui en portaient."
Après quelques recherches pour le fun, le réalisateur belge est tombé sur le cliché d’une statue représentant une paire de "méduses" apposée au centre d’un rond-point érythréen. Le déclic. "Là, je me suis dit : Attends, il y a un truc qui m’échappe", rigole-t-il. Je voulais résoudre l’énigme de la statue. C’est vraiment cela qui m’a motivé."
Avec la conviction d’avoir une bonne histoire à raconter, Florian Vallée s’est lancé dans ce projet sans savoir qu’il allait consacrer quatre années de sa vie à la sandale. C’est le temps qu’il fallait pour percer le mystère de son odyssée.
Où t’es, sandale, où t’es ?
Le puzzle n’a pas été aisé à assembler. Pas évident, d’abord, d’être pris au sérieux quand on se présente comme le réalisateur d’une enquête sur la sandale en plastique. Et puis, allez taper les deux mots-clés dans une base de données historique et vous verrez qu’il n’y a, évidemment, pas pléthore d’occurrences. Enfin, en Auvergne, où l’objet a été inventé, peu de témoins veulent parler. L’entreprise a fait faillite. Dans la région, les gens seraient plus fiers de vanter la qualité de leurs couteaux.
Pour parvenir à diffuser son doc de 50 minutes à la télé (France 3, BeTV et bientôt à la RTBF), et en attendant la reprise des festivals, le réalisateur a passé au peigne fin pendant plusieurs mois les archives du site de l’Ina. Le but : dénicher des images où les sandales apparaissaient, même furtivement, pour habiller son film.
Il a, également, pas mal bourlingué. En Afrique, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et en Éthiopie, mais pas en Érythrée, où il est très compliqué d’aller, il a rencontré des propriétaires d’usine, des anciens commerçants et plusieurs adeptes nostalgiques. Histoire de rappeler qu’au départ cet ovni vestimentaire était un signe de richesse, avant de devenir la chaussure des classes populaires.
Florian Vallée a, aussi, traversé l’Atlantique pour s’immerger dans les caisses d’archives de la société Bata, la marque qui a démocratisé la sandale. Parmi les pépites, le réalisateur a notamment déniché des bandes magnétiques publicitaires de l’époque : "Pas un pas sans Bata" chanté par Franco, le roi de la rumba congolaise, et son groupe O.K. Jazz.
Même bonheur en France, au moment d’apprendre l’existence du programme de recherche BataData, les archives de l’enseigne numérisées par l’Université de Lorraine. "Il y a des spots publicitaires avec uniquement des sandales dedans. C’était magnifique. Les infos que j’avais glanées s’illustraient enfin."
Une entrée au Centre d’anthropologie
Ce souci du détail se retrouve dans l’écriture de son film, sa narration, son esthétique. Les photos, les infographies, la musique, la voix off (celle de Maïk Darah, voix française de Whoopi Goldberg) ont été sélectionnées minutieusement pour que ce travail de recherche de longue haleine débouche sur une enquête passionnante et une opportunité inattendue.
Grâce à elle, en effet, cet autodidacte opiniâtre a fait son entrée à l’université. "Il se trouve, je ne le savais pas du tout, qu’il y a tout un pan de l’anthropologie qui s’intéresse à la culture matérielle, au fait de raconter l’Histoire par les objets. J’ai reçu l’appui du Centre d’anthropologie culturelle de l’ULB durant ma recherche. Ils m’ont beaucoup aidé. Je continue de travailler avec eux en tant que collaborateur scientifique. Je suis super content."
Comme quoi, la sandale en plastique mène partout et à tout. Même à l’intérieur d’un laboratoire du campus du Solbosch.