Le fantôme Xavier Dupont de Ligonnès fascine toujours autant: "Notre objectif, irréaliste, était de le retrouver lorsqu'on a commencé à enquêter"
L’enquête du magazine Society est devenue un livre (et sera adaptée en série). Entretien avec Pierre Boisson, l’un des quatre auteurs.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/e31d5045-9f02-4cac-9d72-c6adea144293.png)
Publié le 16-01-2021 à 12h44 - Mis à jour le 21-01-2021 à 16h45
:focal(1275x785:1285x775)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7GDO7F2IBBAIBOUDFGVOGSVA4Y.jpg)
Parue en deux parties durant l’été 2020, dans le magazine Society, l’enquête de Pierre Boisson, Maxime Chamoux, Sylvain Gouverneur et Thibault Raisse s’est vendue à plus de 400.000 exemplaires. Aujourd’hui, c’est sous forme de livre (un peu plus de 200 pages) que paraît Xavier Dupont de Ligonnès, la grande enquête (aux Éditions Marabout).
Une plongée passionnante – parce que très documentée et remarquablement écrite – dans une affaire qui ne cesse de susciter des questions. Près de dix ans après les faits (les corps ont été retrouvés mi-avril 2011), l’auteur présumé du quintuple meurtre n’est plus qu’un fantôme que d’aucuns croient avoir vu dans le sud de la France, en Asie du Sud-Est, aux États-Unis… Retour sur une enquête qui a duré quatre ans, avec Pierre Boisson, l’une des quatre plumes qui signent l’ouvrage.

La famille de Xavier Dupont de Ligonnès, suspecté d'avoir tué sa femme et ses quatre enfants.
Comment avez-vous travaillé à quatre sur cette enquête ? Un peu comme une équipe de policiers ?
(rires) “Un petit peu, oui, on s’est réparti les tâches. Pendant l’enquête, on a tous travaillé sur des sujets un peu différents et on mettait en commun toutes les questions que l’on devait aborder. Et puis quand on partait en reportage, en interview, on y allait souvent par deux, en fonction des “qualités” de chacun. Au moment de passer à la rédaction, c’est plutôt moi qui ait coordonné l’écriture parce que ce n’est pas simple de le faire à… huit mains !”
Si vous aviez chacun votre domaine de prédilection, vous, vous étiez sur quel volet de l’enquête, sur quels aspects de l’affaire ?
“J’ai suivi toute l’enquête, depuis le début, parce que je suis l’un des journalistes permanents de l’équipe de Society. Thibault Raisse a été fait-diversier au Parisien pendant dix ans et il a une grande expertise technique du judiciaire. Maxime Chamoux, lui, est musicien et auteur et Sylvain Gouverneur est auteur et ils ont une approche plus sensible, ils font des hypothèses, beaucoup de relectures. Ils ont apporté cette dimension-là. Quant à moi, je suis journaliste et je connais bien le format au long cours que l’on a l’habitude de publier dans Society.”
Même si vous avez suivi l’enquête depuis le début, est-ce qu’il a fallu se dire “on reprend tout depuis le début”, on remet tout à zéro et on va y réfléchir comme à un récit au long cours et pas une compilation d’articles ?
“C’était la base : quand on a commencé l’écriture, on s’est dit qu’on reprenait l’enquête à zéro, comme si on était des policiers, justement, en essayant d’apporter un regard neuf sur cette enquête. Du coup, on a épluché les environnements familiaux, des comptes rendus bancaires, des appels téléphoniques pour essayer de voir si, dans l’enquête policière qui avait été menée, il n’y avait pas un, deux ou trois points morts que l’on pouvait, nous, explorer, pour apporter quelque chose de nouveau à cette enquête.”
L’ambition, c’était de retrouver Ligonnès ?
“Évidemment, on savait très bien qu’elle était irréaliste, mais c’était un cap que l’on essayait de suivre en se disant que si, 9 ans après les faits, on y consacrait autant de temps et d’énergie, il fallait se fixer ça comme objectif.”
En avril, cela fera dix ans. C’est une longue disparition. En même temps, on a l’impression que l’on n’a pas avancé d’un pouce !
“C’est ça qui est fou dans cette histoire : Ligonnès tue sa femme et ses enfants les 3 et 5 avril 2011. On retrouve les corps le 21 avril et puis, après, il y a trois ou quatre mois d’enquête pas pour savoir qui est le coupable – puisqu’on a tous les éléments pour dire que c’est Xavier Dupont de Ligonnès – mais qui ressemble plus à une traque, celle d’un fugitif. Dans un premier temps, c’est une traque dans l’urgence, tant que la piste est encore chaude, si j’ose dire. Et puis, après, il s’est envolé. C’est plus un fantôme qu’autre chose. C’est en cela que c’est très particulier : ça fait neuf ans que sa présence rôde et sa disparition fait que le mystère perdure et que rien n’avance. Effectivement, la dernière trace que l’on a de lui, c’est une “photo” via la vidéosurveillance de l’hôtel Formule 1, où il a passé une dernière nuit le 15 avril 2011 et depuis, on n’a aucune nouvelle. Rien.”

Vous soulignez quand même des pistes qui semblent ne pas avoir été explorées jusqu’au bout. Vous évoquez un garagiste – Renaud, ça ne s’invente pas – qui n’a jamais été entendu par la police alors qu’il prétend être sans doute le dernier à l’avoir vu… Pourquoi ?
“Il y a plusieurs raisons. Je pense que la police a bien fait son travail mais ils ont payé le prix du fait de découvrir les corps longtemps après les assassinats. Ils avaient quinze jours de retard sur lui, c’est énorme, et ils n’ont jamais vraiment réussi à le rattraper. Du coup, l’enquête a été précipitée. Quand ils découvrent que Ligonnès est un assassin, ils sont obligés d’aller très très vite et de lancer plein de pistes en même temps. Dans cette urgence-là, il y a des points à travers lesquels les policiers sont passés. Renaud, le garagiste, aurait dû être entendu par la police à l’époque. Ce ne sont pas des fautes, c’est juste lié à l’enquête telle qu’elle a été menée. Cela n’aurait peut-être rien apporté et aujourd’hui, c’est un peu trop tard…”
Pourquoi ? Le dossier n’est pas clos…
“Bien sûr, et nous, c’est ce que l’on a fait, d’ailleurs. Des gens qui n’avaient jamais été entendus, on en a vu plusieurs. Mais on l’a fait comme des journalistes, on ne met pas les gens en garde à vue, on n’a pas la force de coercition de la police. Pour la police, suivre les gens aussi longtemps après, c’est très compliqué. Le secret est bien enfoui et c’est très difficile d’avoir des autorisations pour lancer des gardes à vue par exemple. Et puis, quelqu’un qui garde un secret depuis aussi longtemps a peu de chance de le révéler en 48h de garde à vue. Mais il y a d’autres manières de le faire, les écoutes, etc. Mais ça, c’est le travail de la police.”
Les relevés bancaires, les coups de fil : vous avez tout épluché. Mais comment ? Cela ne fait pas partie du secret de l’instruction ?
(rires) “Je ne peux pas trop en parler, cela relève de la protection des sources. C’est un travail qui nous a pris quatre ans et c’est au fur et à mesure de ces quatre années que l’on a réussi à rassembler une somme hétéroclite de documents. C’est tout ça qui nous a permis de raconter l’histoire avec un degré de détails qui n’avait jamais été fait. Il nous semblait important de pouvoir rentrer en profondeur dans ces détails parce que c’est ça, la matière du fait divers : c’est le récit le plus détaillé et le plus véridique possible. C’était important pour nous de rester fidèles à cette éthique du fait divers : ne raconter que ce qui est vrai et que ce dont on est sûrs. Quand on dit que des policiers tentent ceci ou que telle personne, à tel moment, pense cela, on en est sûrs. Parce que la personne nous l’a dit, que quelqu’un d’autre nous l’a confirmé… Quand on évoque un paysage, on est allé le voir : rien n’est faux.”
L’affaire en quelques dates
Difficile, quand on porte un regard attentif sur les semaines qui ont précédé le drame, de ne pas imaginer que Xavier Dupont de Ligonnès avait tout prévu. Retour en quelques dates sur l’affaire qui continue de susciter toutes les supputations.
- 12 mars 2011 : XDDL achète un silencieux et des cartouches de carabine. L’arme a appartenu à son père et il l’a récupérée à la mort de ce dernier.
- 23 ou 30 mars : d’après un ticket de caisse retrouvé par les enquêteurs, XDDL achète, dans un magasin de bricolage à Saint-Maur (soit à plus de 315 km de chez lui), un rouleau de sacs-poubelles de grande taille, ainsi qu’un paquet de dalles plastique adhésives pour le sol.
- 1er avril : il achète du ciment, une bêche et une houe.
- 2 avril : il achète quatre sacs de chaux de 10 kg dans différents magasins de la région de Nantes.
- 3 avril : la famille se rend au cinéma puis dans un restaurant où elle a ses habitudes. En rentrant, à 22 h 37, XDDL laisse un message sur le répondeur de sa sœur pour lui dire, en substance, que tout va bien. C’est probablement dans la nuit du 3 au 4 qu’il assassine Agnès, sa femme, et ses enfants Benoît (13 ans), Anne (16 ans) et Arthur (20 ans).
- 5 avril : Thomas rentre à Nantes après que son père lui a annoncé que sa mère avait fait une mauvaise chute. Ils dînent ensemble. Il est (probablement) tué dans la nuit du 5 au 6.
- 11 avril : XDDL envoie une lettre à l’employeur de sa femme mais également au collège des deux plus jeunes enfants de la famille. Il explique qu’il vient d’être muté en Australie. Il envoie également des courriers à nombre de ses amis leur expliquant que lui et les siens doivent précipitamment quitter la France pour la États-Unis, sous le programme de protection des témoins (car il serait… un espion).
- 12 avril : XDDL dîne et dort seul dans une auberge du Vaucluse.
- 13 avril : les voisins s’inquiètent de voir les volets baissés depuis des jours (cela n’arrive JAMAIS). Ils appellent la police nantaise.
- 15 avril : XDDL est vu pour la dernière fois sortant d’un hôtel Formule 1 de Roquebrune-sur-Argens, dans le Var. Il porte un sac sur le dos. C’est la dernière image que l’on a de lui.
- 19 avril : une enquête est ouverte pour “disparition inquiétante”.
- 21 avril : les policiers découvrent les cinq corps, enterrés sous la terrasse de la maison familiale. Ils sont enroulés dans des duvets et des couvertures et ont tous un petit objet à caractère religieux à proximité.
- 22 avril : après l’autopsie des corps, on découvre que tous ont été tués de manière méthodique. On détecte également des traces de barbituriques dans leur sang.
- 29 avril : des fouilles sont entreprises dans la région de Roquebrune-sur-Argens. Sans succès.
- 10 mai : un mandat d’arrêt international est lancé contre XDDL.
- Fin avril 2015 : des ossements sont retrouvés près de Fréjus. Les analyses prouveront qu’il ne s’agit pas de XDDL.
- Janvier 2018 : des fidèles pensent l’avoir aperçu dans un monastère de Roquebrune-sur-Argens. C’est une nouvelle fausse piste.
- 11 octobre 2019 : des policiers – qui n’ont pas le temps de l’interpeller, croient le voir embarquer dans un avion pour Glasgow. L’homme, arrêté en Écosse, ce n’est pas XDDL : c’est l’ADN qui a parlé.