"X-Files", la série télé qui annonçait l'essor des théories du complot
Disney + met en ligne l’intégralité de la série "X-Files". La série presque trentenaire augurait de la culture du complot dès 1993.
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Publié le 23-02-2021 à 11h43
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Retour vers le futur… Disney + met en ligne sur son nouveau "pilier" Star, l’intégralité de X-Files. La série culte presque trentenaire a révolutionné les séries télé. Elle a aussi auguré de la culture du complot, ce qui en fait également un jalon. Petit récap pour les profanes ou les moins de trente ans.
De quoi ça parle ?
Deux agents du FBI, Fox Mulder (David Duchovny) et Dana Scully (Gillian Anderson), qui enquêtent sur des dossiers classés "X" : non résolus et flirtant avec le paranormal. Mulder, témoin de la disparition inexplicable de sa sœur quand ils étaient enfants, croit dur comme fer à l’existence des extraterrestres. Scully, scientifique rationnelle (et catholique, ça aura son importance dans la série), est sceptique par nature.
Quand l’un avance ses théories farfelues et énumère tous les précédents paranormaux pour étayer ses thèses, l’autre réplique par les faits et cherche des preuves. Mais comme on ne peut pas plus démontrer que démonter l’inexplicable, ça se termine souvent par un match nul. Spoiler alert : Mulder et Scully auront peu d’arrestations à leur actif. C’est le problème quand on chasse des fantômes et des chimères.
Pourquoi était-ce novateur ?
Série improbable à ses débuts, X-Files relance l’horreur et le fantastique alors en perte de vitesse. Au cinéma, le genre a fini par s’autoparodier avec les suites des franchises Halloween et Freddy. Chris Carter, créateur et producteur de X-Files, lui redonne lustre et sérieux.
Il impose une structure narrative devenue incontournable depuis : la majorité des épisodes sont indépendants et portent sur une enquête unique, généralement centrée sur un phénomène paranormal ou un "monstre de la semaine". Mais certains s’inscrivent dans une intrigue plus large et récurrente, la "mythologie" de la série. Celle-ci part de l’hypothèse de l’existence d’une vaste conspiration destinée à masquer la présence des extraterrestres parmi nous.
Pourquoi ça a marché ?
À l’apogée de la série, en 1997, l’épisode 12 de la 4e saison, Régénérations, réunit une audience record de 29 millions d’Américains. À titre de comparaisons récentes, l’épisode le plus regardé de Walking Dead plafonne à 17 millions, et celui de Game of Thrones à 8 millions.
Le succès n’est pas usurpé. Carter a des lettres cinématographiques et télévisuelles. Prenez Les hommes du président pour les mensonges d’État, Rencontre du troisième type pour la mythologie ufologiste et les couvertures inventées par l’armée et Twin Peaks pour l’agent du FBI aux méthodes iconoclastes (NB : David Duchovny y faisait une apparition en agent transsexuel) et l’enquête où le mystère importe plus que la résolution, saupoudrez d’un peu de Chapeau melon et bottes de cuir pour la relation platonique des deux héros, secouez bien : voilà X-Files. Ajoutez une qualité d’écriture et de mise en scène (selon les standards de l’époque) et vous obtenez un phénomène de la culture populaire.
Y a-t-il un message caché ?
"Le gouvernement nous ment", annonce le générique qui se conclut par le célèbre aphorisme "La vérité est ailleurs". Sous ses apparences rocambolesques, X-Files est une cartographie de la psyché complotiste américaine. Toutes les grandes légendes urbaines, toutes les malversations du gouvernement fédéral (expérimentations occultes, clonage, vaccinations douteuses, eugénisme, cybersurveillance…) y passent, jusqu’à la conspiration des Illuminati (incarnés dans la série par le Consortium).
Chris Carter se définit comme "un enfant du Watergate", le scandale qui a révélé les mensonges du président Richard Nixon. Cet événement lui a fait développer "une sorte de défiance à l’égard du gouvernement". L’informateur de Mulder dans la première saison est baptisé du même surnom que celui qui a guidé le journaliste Bob Woodward dans l’affaire du Watergate : Gorge profonde. Carter joue des associations d’idées dans l’esprit du spectateur.
Comme le dit Gorge profonde à Mulder, "un mensonge est plus crédible caché entre deux vérités", méthodologie classique du conspirationnisme. La série recourt à la même méthode narrative que le film JFK d’Oliver Stone (1991), modèle de cinéma paranoïaque, sorti deux ans avant le début de X-Files : intégrer des images d’archives à son récit, pour mieux brouiller les pistes.
Le triptyque qui ferme la saison 4 et ouvre la suivante est un modèle du genre et le sommet de la série. De là à ce que certains pensent que si "la vérité est ailleurs", comme l’annonce générique, elle pourrait aussi se cacher dans les épisodes…
"X-Files" est-elle complotiste ?
X-Files est la première série à avoir bénéficié du développement des forums sur Internet où les fans, les "X-Philes", se retrouvent.
"Internet, c’est le milieu des années 90, c’est le moment où la série X-Files apparaît, et c’est le moment où l’on va voir tout une série de discours complotistes se développer, avec une audience sans précédent", notait l’anthropologue Pierre Lagrange, en 2016. C’est une sorte d’antichambre complotiste où l’on débat des théories évoquées dans X-Files, en suivant le credo affiché sur le mur de Mulder ("I want to believe"/ "Je veux croire") ou celui de Gorge profonde ("Trust no One" / "N’ayez confiance en personne").
Chris Carter a reconnu en 2018 que sa série a sans doute contribué "à nourrir une culture latente du complot". Mais, ajoute-t-il, "la fascination de l’Amérique pour celle-ci n’a plus besoin d’être alimentée". Ses scénaristes et lui ont parfois tenté de s’en distancier. C’est le cas dans l’épisode Le Seigneur du magma qui parodie la culture ufologue et complotiste (autopsie d’alien et (wo)men in black inclus).
En 2016, Carter relance la série avec deux mini-saisons. Cette Résurrection, comme on l’a intitulée, commence par une mise en abîme : Mulder et Scully sont sortis de leur retraite par un avatar du youtubeur complotiste Alex Jones. Carter reste en phase avec l’air du temps : inspiré par les épidémies du Mers et du Sras, il imagine le déclenchement d’une pandémie mondiale, dont le virus a été inoculé lors de campagnes de vaccination !
Mais ces saisons 10 et 11 (2016-2018) semblent dépassées par les fictions des réalités alternatives qui s’écrivent jusqu’au cœur de la Maison-Blanche. À l’ère post-factuelle, le mot d’ordre n’est plus "la vérité est ailleurs", mais "les mensonges sont partout".

Le guide des épisodes du complot
Impossible de résumer les 218 épisodes de X-Files ici. Ni, même, d’extraire une sélection d’épisodes résumant la "mythologie".
Contentons-nous de quelques jalons en guise de guide, en précisant que de l’avis général des X-Philes, les cinq premières saisons sont les meilleures (Carter avait initialement prévu d’arrêter la série à ce stade). Après, la mythologie se dilue à force de surenchère et de réponses apportées qui n’en sont pas.
Nous ne sommes pas seuls (saison 1 épisode 01). "Ce qui suit est basé sur des rapports officiels", annonce le prégénérique. La rencontre entre Mulder et Scully, une première enquête sur des enlèvements mystérieux d’adolescents, l’Homme à la cigarette qui traîne à l’arrière-plan, un sous-sol du Pentagone où on archive la preuve ramenée par Scully. Tout y est, sans oublier une approche visuelle cinématique (selon les standards de l’époque). Du jamais-vu sur petit écran à l’époque - sauf dans Twin Peaks.
Gorge profonde (1.02). Apparition du personnage de Gorge profonde, premier informateur de Mulder qui introduit la conspiration autour de la présence des aliens sur Terre.
Entité biologique extraterrestre (1.17). Début des Lone Gunmen, le trio de conspirationnistes professionnels, autres informateurs de Mulder. Le scénario laisse entendre que tout a commencé lors du crash d’un ovni à Roswell en 1947.
Les Hybrides (1.24). Fin de saison avec développement de la conspiration. Scully commence à en découvrir beaucoup et à mesurer l’implication de l’appareil d’État.
Duane Barry/Ascension (2.05/06) . Premier double épisode de la série. Gillian Anderson étant enceinte, les scénaristes imaginent une disparition de Scully cohérente avec la légende des ovnis.
Anasazi/Le Chemin de la bénédiction/Opération Paper Clip (2.25, 3.01/02). Des Navajos, des aliens, des savants nazis, des vaccins pour ficher la population, un consortium d’industriels qui opère dans l’ombre… Un peu plus de légendes urbaines au service de la mythologie X-Files.
Monstres d’utilité publique I & II (3.09/10). Après les nazis, les criminels de guerre japonais. Écho à la fameuse fausse vidéo d’autopsie de l’alien de Roswell que Fox a diffusée à l’époque.
Talitha Cumi (3.24). Pour entretenir la conspiration, on ajoute des développements à n’en plus finir (ce qui est le but). Apparition de Roy Thinnes (le David Vincent des Envahisseurs).
L’Homme à la cigarette (4.07). Un épisode centré sur la vie de l’Homme à la cigarette, où il est notamment question de l’assassinat de JFK. Tous les complots ne font qu’un.
Tempus Fugit I & II (4.17/18). Nouvelle variante du crash d’un ovni couplé à celui d’un avion de ligne. Pas essentiel, mais un des meilleurs doubles épisodes.
Le Baiser de Judas, Le Complot, La Voie de la Vérité (4.24, 5.01/02). Le triptyque complotiste par excellence. D’abord, on découvre que tout ce sur quoi Mulder a enquêté était de la blague. Puis que ça cache un tout autre complot. L’intrigue fait une boucle en renvoyant au pilote.
La fin (5.20). Dernier épisode tourné à Vancouver et fin symbolique de X-Files première époque. Pas de suite à suspense vers la saison 6 : il y avait le premier long métrage adapté de la série, entre les deux, qui boucle quelques éléments de l’intrigue.