"La Faute à Rousseau" et les séries sont les meilleures alliées de la philosophie
La fiction de France 2 ancre les grandes questions humaines dans notre époque.
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Publié le 24-02-2021 à 13h23 - Mis à jour le 24-02-2021 à 15h52
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"La philo, c’est déconstruire les idées reçues, les apparences, se mettre à nu", détaille Benjamin Rousseau à ses élèves de terminale. Dans l’esprit du nouveau prof de philo, la discipline n’est pas que théorique. Pour mieux démystifier la pensée de Kant, Montaigne, Platon ou Spinoza, pas besoin de remonter à Homère ou à L’Odyssée, il faut s’y confronter ici et maintenant.
Agent atypique et provocateur, Benjamin Rousseau (le comédien belge Charlie Dupont) n’est pas du genre à faire les choses à moitié. Ses élèves du lycée La Fontaine, il ne veut pas seulement les amener jusqu’au Bac, il veut les guider sur la voie de la "pleine conscience" qui nécessite forcément de se connaître soi-même. Ce qui reste la meilleure façon de grandir et d’évoluer.
Les grands défis de l’âge adulte
S’appuyant sur leurs problèmes personnels, Benjamin Rousseau n’y va pas par quatre chemins. Dans La Faute à Rousseau , on le voit qui bouscule ses élèves, les force à sortir de leur zone de confort. À chaque épisode, son incursion dans la vie d’un lycéen, coincé le plus souvent entre doutes et conflits.
À le voir s’agiter à tout prix pour "faire sens" , on se dit que l’adulte divorcé et nomade, adulescent par excellence, connaît forcément bien le sujet. Dans son sillage remuant et libertaire et face à sa volonté d’amener ses élèves à penser par eux-mêmes, on ne peut s’empêcher de penser au facétieux Robin Williams et à son Cercle des poètes disparus.
Cette attitude nonchalante et souvent provocatrice, voire immature, est la même que Benjamin Rousseau adopte dans la vie de tous les jours. Ce qui lui a déjà causé de nombreux soucis et l’empêche d’approfondir sa relation avec son fils ou avec les femmes en général.
Avec 3,04 millions de curieux, la série a effectué un démarrage en douceur mercredi dernier sur France 2. Sans doute parce que la philo fait toujours un peu peur. Mais, avec un maître nageur tel que Benjamin Rousseau, vous auriez tort de rester bloqué au bord de la piscine. Une série qui s’intéresse aux ados et aux dilemmes qui les rongent mais aussi aux adultes et aux freins qui les taraudent, ça ne peut pas faire de mal, dirait Guillaume Gallienne.
Le temps long de la réflexion
En confrontant Paul à son envie de liberté, Anaïs à sa quête d’amour et Emma à son sens du devoir, Benjamin Rousseau permet aux grandes questions philosophiques de devenir concrètes.
N’en déplaise à quelques grincheux qui continuent à penser que les séries abrutissent le public ou l’enferment dans un schéma chronophage, il est bon de rappeler à quel point la philosophie est amie des séries.
En permettant la catharsis et l’identification, la fiction pousse chacun à se poser des questions sur ses agissements ou ses idées préconçues. Et cela d’autant plus facilement que les intrigues s’installent dans la durée et impliquent l’évolution des personnages. D’où l’importance de la notion de temps : celui du récit et de sa découverte. Par son inscription dans l’époque et la durée, la série donne forcément à penser.
Cette capacité d’introspection est mise en lumière par de nombreux auteurs ou philosophes tels Thibaut de Saint-Maurice ou Olivier Pourriol. Le premier a écrit trois ouvrages sur la question, dont le dernier en date, intitulé Des philosophes et des héros*, éclaire notamment la notion de devoir kantien à travers les parcours de Lucky Luke ou de James Bond et le concept de recherche de la vérité, si chère à Socrate, par le biais de personnages tels que Dr House ou Sherlock Holmes.
Séries et questions métaphysiques
Philosophe sériephile, ex-professeur de lycée et désormais chercheur à la Sorbonne, Thibaut de Saint-Maurice n’en est pas à son coup d’essai. Il avait déjà établi dans ses deux précédents livres, Philosophie en séries, les liens entretenus par des fictions comme À la Maison-Blanche, Lost, Mad Men, Un village français ou 24 h chrono avec les notions d’éthique, de destin, d’ordre social, de liberté et de justice… Notant, avec humour, que ce n’est pas un hasard si de nombreux personnages de la très philosophique série Lost portent les noms de grands penseurs : Hume, Locke, Rousseau, Bakounine…
"Philosophie en séries", volumes 1&2, Ellipses Éditions, 2009 et 2010
"Des philosophes et héros", Thibaut de Saint-Maurice, First Éditions, 2019.