Documentaire : comment sortir d’un hôpital psychiatrique ?
L’hospitalisation psychiatrique sans consentement vue par Raymond Depardon. À 22 h 50, sur France 2.
- Publié le 02-03-2021 à 14h28
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"Je suis fou. J’ai la folie d’un être humain." Il a 20 ans et demi. Il dit avoir pris une kalachnikov à ses voisins, des terroristes, qui se préparaient au pire. Il dit avoir caché l’arme tout en haut de l’armoire pour que sa grand-mère ne puisse pas y accéder. Il a de belles boucles noires, de grands yeux noirs que de lourdes paupières s’acharnent à plonger dans une longue nuit. Il est devant un juge au regard clair qui n’en revient pas d’entendre ce qu’il entend. Un juge qui doit trancher sur son avenir en hôpital psychiatrique, face à la caméra de Raymond Depardon, dotée de la froide rigueur d’un scalpel et de la tendre lumière d’une aube prometteuse. Présenté en sélection officielle hors compétition au Festival de Cannes, en 2017, 12 jours est diffusé ce soir, sur France 2. Ce film nous concerne tous.
"Une parole autrefois réservée aux psychiatres"
"Autrefois, la décision d’hospitaliser une personne contre son gré reposait sur le seul psychiatre et s’exerçait sans regard extérieur ; depuis les aliénés et les fous sont devenus des patients, expliquent Raymond Depardon et Claudine Nougaret, son ingénieuse du son et productrice, à la sortie du film. En 2013, pour donner un cadre légal à cet enfermement, la loi a obligé les psychiatres à soumettre, avant douze jours, au juge des libertés l’ensemble de leurs décisions concernant les hospitalisations sous contrainte. Nous sommes les premiers à filmer la mise en application de cette loi. L’arrivée du juge des libertés dans l’institution psychiatrique rend publique une parole autrefois réservée aux seuls psychiatres."
Dans l’hôpital du Vinatier, à Lyon, durant sept semaines, le cinéaste photographe a tourné une course contre la montre immobile, dans un bureau, dans la tête du patient, dans celle du juge. Une audition pour gagner sa liberté, pour sortir vivant de ce satané hôpital, avec ou sans la camisole chimique, pour retrouver la vie, l’enfant, les projets, un travail et le père que l’on vient d’assassiner. Retrouver cette vie rêvée et empêchée par mille et une épreuves. C’est une supplique dans un regard embué, un corps affaissé qui fait mal. Une soumission au malheur qui donne envie de se révolter, de tout briser… et de repenser sa propre vie.
Une jeune femme veut mourir. Les autres ne le comprennent pas. Et l’enferment là. Elle veut rentrer chez elle pour sauter du troisième étage et pour mourir. Et l’on veut l’en empêcher. "Ils disent que je vais manquer à ma famille, que je vais manquer à mes animaux. Mais moi, dans tout ça ! Ils pensent à ma souffrance ?! Je n’ai pas envie de me faire soigner. Je ne veux plus vivre. Je suis obligée parce que je suis sous contrainte, mais je n’ai pas envie de me faire soigner, pas du tout. J’ai envie de mourir. J’ai envie qu’on me laisse tranquille. J’ai trop souffert pendant 37 ans. J’ai trop souffert… Je vais avoir 37 ans et ça n’a été que de la souffrance, ma vie."
La folie qui nous habite
Être libre, gagner sa liberté, dérailler un peu, glisser, ailleurs, comme dans ce long et lent travelling entre les murs vides du couloir de l’hôpital psychiatrique. En moins de 12 jours, tout donner, jusqu’aux forces ultimes, pour convaincre le juge de vous libérer, pour échapper à sa propre souffrance, à son enfermement intérieur. Certains y parviendront-ils ? 12 jours, c’est le film qu’il faut pour connaître toutes les douleurs du monde et toute sa folie qui nous habite aussi.