#SalePute : quand le mépris des femmes se déverse sur les réseaux sociaux
Myriam Leroy et Florence Hainaut ont subi et scruté les cyberviolences. Du sobre et cinglant constat de ce fléau majuscule, elles ont fait un documentaire. Accessible en VOD avant sa diffusion sur la RTBF puis Arte.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/56207dc1-4449-4789-b3e7-11e31d796eb5.png)
Publié le 11-03-2021 à 07h17 - Mis à jour le 11-03-2021 à 10h57
:focal(590x339.5:600x329.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/KP3ADUWFLRHKPGJIGD56ZTQGXI.jpg)
Torrents d’insultes, cascades de haine, menaces de viol, de torture, de mort. Bienvenue dans "le monde merveilleux du cyberharcèlement".
Ceci n’est pas une caricature. Pas plus qu’un fait divers – angle sous lequel sont encore trop souvent abordées les violences en ligne. "On croit que ça n’arrive qu’aux célébrités, que c’est le revers de la médaille. On ne voit pas le schéma, les redondances […]."
Myriam Leroy et Florence Hainaut, toutes deux journalistes et chroniqueuses familières des réseaux sociaux, toutes deux ayant quitté Twitter et Facebook, connaissent ô combien leur sujet. "Nous voilà, femmes, journalistes, qui avons appris comme tant d’autres à vivre avec le harcèlement, et qui refusons de l’accepter pour autant." En n’évoquant que fugacement leurs cas précis, elles donnent voix et visage à un panel de femmes. Bien plus que leurs sœurs d’infortune : des mots et des maux pour un constat, implacable et nécessaire : cette haine déployée en ligne dit et redit inlassablement une chose – en d’infimes et obstinées variations sur un thème : le mépris des femmes.
Leurs interlocutrices sont députée, youtubeuse, écrivaine, humoriste, directrices d’association, chercheuses… et bien sûr journalistes – motif récurrent, ce que vient appuyer la campagne Zéro sexisme de l’AJP (Association des journalistes professionnels), basée sur l’étude récente "Être femme et journaliste en Belgique francophone".
Des témoignages et des chiffres
L’enquête menée par Myriam Leroy et Florence Hainaut s’aventure cependant bien au-delà de ce périmètre (de la France à l’Australie en passant par l’Autriche), tout en distillant des données chiffrées et sourcées.
"Un problème qui affecte 73 % des femmes à travers le monde n’est pas une somme d’incidents isolés, c’est un phénomène de société." Que le harcèlement en ligne soit en outre majoritairement le fait d’hommes ("et de quelques femmes qui se rangent du côté le plus confortable pour elles", observe finement l’autrice Pauline Harmange) complète le tableau d’une misogynie structurelle. Une misogynie largement préexistante aux réseaux sociaux, mais dont le Web a considérablement amplifié la portée.

La loi du profil bas
Avec toujours en filigrane le silence. Vous voulez éviter les insultes ? Faites profil bas. La journaliste Lauren Bastide relève la résonance de ce mécanisme avec la culture du viol. "Tu t’exposes ? C’est le tarif. Conséquence : les femmes sont moins prêtes à parler." Voire font le choix du retrait. Or, souligne Anna-Lena Von Hodenberg, de l’association Hate Aid, "la haine fait partie intégrante du modèle économique des plateformes. Harceler, sans aucun doute, rend populaire".
Serrer les dents, policer son ton, voire changer de métier : ces échappées, ces réflexes de survie, traduisent le terrible échec d’une société soi-disant égalitaire. Espace public par excellence, le Web, "si s’en écarte une part significative de la population, ça devient le lieu et la loi du plus fort. Un vrai danger pour la démocratie".
Au plus près des âmes et de la chair de ses intervenantes, #SalePute cueille la désillusion de Natascha Kampusch ("je ne peux plus croire en rien"), la "fin de la tranquillité" de l’humoriste Florence Mendez, la joie perdue de la journaliste Nadia Daam.
Il y a ici de la douleur, des traits d’humour, beaucoup d’amour aussi – de cette sororité bien moins anecdotique que voudrait le faire croire le clan d’en face. Celui des harceleurs. Faire de ceux-ci des caïds, des psychotiques, des monstres, c’est "pratique" mais faux, soulignent les autrices. "Ce ne sont pas des dingues, pas des idiots. Ils ne sont pas des anomalies du système. Ils sont le système."
- Disponible en TVOD sur Proximus Pickx, "Sale Pute" sera diffusé mi-mai à la RTBF et en juin sur Arte.