Ray Cokes, le punk is not dead
À 63 ans, l’animateur anglais revient sur Classic 21. L’occasion d’évoquer le parcours rock’n’roll de ce baroudeur. Pour parler musique, célébrité, intégrité mais aussi de ses projets, de son pétage de plombs et de dépression.
Publié le 14-03-2021 à 19h24 - Mis à jour le 17-03-2021 à 19h56
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"On peut se tutoyer, j’ai pris cette habitude." L’accent british de Ray Cokes est plus efficace qu’une madeleine de Proust. Il n’a fallu qu’une phrase pour nous replonger vingt ans en arrière. Vladimir Poutine venait de succéder à Boris Eltsine, l’Euro de football avait lieu à domicile, Lou Bega était en tête des charts avec "Mambo No. 5". Comme Nikos Aliagas, l’animateur britannique faisait des chroniques le samedi à Paris pour présenter son pays sur le plateau d’Union libre. Cette étiquette de "l’Anglais de Christine Bravo" lui colle, toujours, à la peau. "En Espagne, pendant le confinement, des touristes français m’ont encore appelé comme ça", explique-t-il en Zoom depuis Berlin, où il a emménagé en décembre dernier. Pourquoi s’y est-il installé ? "Je me pose la même question…", ironise-t-il avec cette touche d’humour qui l’a toujours caractérisé.
Anarchie au Royaume-Uni
Ray Cokes a passé toute sa vie à barouder. Le métier de son père (militaire dans la Royal Navy) oblige sa mère et les quatre enfants à déménager souvent à l’étranger. Notamment à l’île Maurice. À 12 ans, le choc est grand lorsque le petit Cokes revient au Royaume-Uni. À Gosport, ville moyenne et populaire de la côte Sud, le préado comprend de manière radicale que la vie n’était pas toujours douce. Hello la grisaille, les fuck mate et les briques rouges. "Il y avait des voyous partout. Deux fois par an, tous les mecs des deux écoles se rassemblaient pour une grande bagarre. J’avais un côté très académique, car j’étais dans des écoles militaires jusque-là. J’ai dû changer ma personnalité. Sinon, à chaque fois, les voyous m’embêtaient. Pour survivre, je suis devenu ami avec eux et ils me protégeaient."
Le natif de l’île de Wight n’y est pas resté longtemps. À 15 ans, il vire à tribord et jette l’ancre à Brighton. Son père autoritaire rêvait de le voir s’engager sous les drapeaux, il a bien intégré une brigade mais en tant que cuistot dans un restau. "Je faisais quinze heures par jour, les chefs me traitaient mal, j’épluchais des pommes de terre toute la journée." Pas la panacée… Ray est un peu paumé lorsque la vague punk a déferlé. Dans la cité bohème du Sussex, il s’éclate sur les riffs salvateurs des Buzzcocks, des Clash et des Sex Pistols. "J’ai monté un groupe avec mon meilleur ami. Je chantais, ou plutôt je gueulais, il était guitariste. On a fait deux concerts, et puis on a splitté…", se marre-t-il. Le nomade profite d’une proposition de boulot d’un vétéran américain du Vietnam avec qui il a sympathisé pour s’échapper. En une journée, ses bagages étaient faits.
"Je dois tout à Michel Perin"
Ray Cokes débarque à Bruxelles à la fin des années 70 dans les cuisines d’un "faux Hard Rock Café", situé chaussée d’Ixelles et tenu par un mafioso de Chicago. "Il avait tout copié. Il se disait qu’il avait une dizaine d’années avant qu’ils ne s’en rendent compte. Les clients belges ne le savaient pas…" Parmi ceux qui viennent manger des burgers sous un faux autographe de Mick Jagger, il y a, notamment, Michel Perin, producteur à la RTBF. Son futur mentor le repère et lui propose une offre qu’il ne peut pas refuser : "Je fais une émission quotidienne de vidéoclips, est-ce que ça t’intéresse ?" Tu m’étonnes...
Une fausse prise d’otage à la RTBF
Entre deux services, le Britannique animait, à l’époque, une émission consacrée au punk sur une radio pirate bruxelloise tout en squattant régulièrement les bacs du disquaire mythique Caroline Music. Problème : Ray parle mal la langue de Molière. Ce handicap ne l’empêche pas de tenter quand même le casting à Reyers. "J’avais été complètement nul mais il m’a pris… Sa femme m’a donné des cours de français pendant six semaines, six heures par jour. C’était un grand risque, je lui dois tout. Il m’a dit : ‘Tu as une attitude rock’n’roll que les Belges n’auront jamais. Je sais que je ne pourrai pas te contrôler, mais c’est ça que j’aime bien.’ "
Cokes ne va, en effet, pas se contenter de réciter des transitions toutes préparées entre des tubes de Johnny Clegg et de New Order. Dans Rox Box de 1982 à 1986, cet hyperactif qui s’ennuie très vite crée des saynètes totalement loufoques. Déguisé en Zorro ou en Superman, les cheveux peroxydés ou des lunettes de soleil sur le nez, sur le toit d’un train ou la selle d’une moto à fond les ballons. Un canular pour la dernière aurait pu virer au drame. "On a décidé de descendre en hélicoptère à la RTBF pour faire une fausse prise d’otage. Quatre ou cinq gars déguisés avec masques, des fausses armes. On a couru dans les couloirs. Un employé était tombé dans les pommes dans l’un des bureaux parce qu’il avait eu peur. On n’avait pas prévenu la sécurité. Aujourd’hui, on se ferait tuer directement."
Le "king" sur MTV
Ces bêtises et sa verve ont tapé dans l’œil de MTV. L’antenne européenne de la chaîne américaine est lancée, en 1987, à Amsterdam. Et le cordon n’était même pas coupé qu’il a failli se faire virer. Cokes avait eu la mauvaise idée de faire le tour des coffee-shops et de tenter un mauvais rap improvisé, sur scène, avant le passage d’Elton John. "Il était furieux parce que ça avait duré trop longtemps." Son chef en est resté au stade des menaces et Ray a pu vite reprendre son envol. Le point culminant de sa carrière restera MTV’s Most Wanted. Entre 1992 et 1995, il devient l’animateur le plus populaire de la chaîne avec une sorte de libre antenne durant laquelle il impose son propre style et réunit de dizaines de millions d’ados totalement accros. "Je voulais casser un peu les règles. J’ai donc commencé à parler aux cameramen, aux gens en régie, à prendre des appels en direct, faire des blagues. Ça a changé le paysage audiovisuel en Europe."
Sa popularité hors norme lui permet, à une époque où les réseaux sociaux, les smartphones et YouTube n’existent pas, de recevoir les plus grandes stars dans son studio de Camden Town : David Bowie, son ami Robert Smith, Blur (il est resté proche de Damon Albarn), Radiohead, Oasis, les Beastie Boys, Nick Cave, Björk, Mike Myers lors de la sortie du film Wayne’s World, Arnold Schwarzenegger après une nuit blanche à Cannes. Sans oublier un bisou de la part de Madonna dans un hôtel de Milan. Mais tout s’arrête brutalement.
En dépression avant un rebond
Au cours d’une émission à Hambourg, Ray Cokes a pété les plombs en direct. Un groupe de punk allemand (Die Toten Hosen) avait été programmé par la chaîne et 4 000 fans déchaînés se sont fâchés. "L’attaché de presse de MTV avait dit que le groupe allait apparaître sur scène, il a menti pour que la foule vienne. Je ne le savais pas. Les Die Toten Hosen ne devaient apparaître que sur un écran géant. Furieux, des gens ont lancé des bouteilles de bière sur la scène. Un assistant cameraman a été touché à la tête. Et là, j’ai perdu mon professionnalisme et je suis redevenu le mec de Gosport. Ils ont fait mal à l’un de mes collègues. Je suis allé devant la scène pour leur demander s’ils voulaient se battre, je n’ai jamais regardé ces images."
Une fois rentré à Londres, la collaboration s’est donc arrêtée. Après des années à carburer, Ray a été soulagé de souffler six mois. Pour jardiner, rouler à moto, profiter de sa maman et de ses amis. Avant de tomber, ensuite, en dépression pendant un an. "J’étais le roi de MTV, et puis, plus rien… J’ai fait des auditions et je n’ai jamais réussi à décrocher un contrat. En Angleterre, j’étais fini. Toute la journée, je jouais à la Playstation en peignoir, j’ai été addict au porno… Dans les années 90, on ne parlait pas beaucoup de maladie mentale et j’avais honte de me confier à mes amis…", déplore celui qui aimerait, aujourd’hui, se lancer comme coach pour aider les jeunes en perdition.
Ray a donc fini par rebondir en France (France TV et Arte) avant de retravailler en Belgique (La Deux, Classic 21, VTM, la VRT) jusqu’à son départ du Plat Pays il y a cinq ans. Depuis, il avait quelque peu disparu des radars. Certains ont même pensé qu’il était mort. À tort.
"Je ne suis pas fini"
Pendant le confinement, il a écrit une série TV, s’est lancé sur Instagram pour produire chaque jour des vidéos. Il a repris confiance en parlant aux gens. Comme avant. "J’ai vu que les 35-40 ans, partout en Europe, se souviennent de moi. Je leur rappelle leur jeunesse. En Finlande, en Israël, en Grèce. J’ai une connexion avec le public qui m’aime bien. Je ne suis pas fini… J’aimerais faire un talk-show, ça, je sais faire."
En attendant, chaque lundi, à 7 h 45, il officie dans Coffee On The Rocks ! pour distiller expériences et anecdotes. La "faute" à Étienne Dombret, chef éditorial de la station, pour qui il a du respect. Ne comptez pas sur lui pour tout accepter. Il a osé dire "non" à Thierry Ardisson pour reprendre la présentation d’une émission sur Paris Première, et avait quitté la RTBF car on lui demandait d’interviewer des politiques, contrairement à ce qu’on lui avait promis. "Je n’ai jamais couru après l’argent. Je préfère être fauché que riche en ayant vendu mon âme. Cette intégrité vient de mes 18 ans. Once a punk, always a punk…"
À force de refaire le monde avec lui, on a fini par comprendre pourquoi il avait choisi Berlin. Durant ses live sur Instagram, il a discuté avec une Allemande qui a fini par venir le voir en Espagne. "On est tombés amoureux et on a emménagé ensemble." À 63 ans, Ray Cokes est bien vivant.