Barbet Schroeder décrypte le génocide des Rohingyas
La vision noire du moine appelant au massacre des musulmans en Birmanie. À 23 h, sur Arte.
- Publié le 24-03-2021 à 13h48
- Mis à jour le 25-03-2021 à 09h35
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C’est l’histoire d’un moine au large sourire, le sourire figé du clown psychopathe Joker, ennemi juré de Batman. Ashin Wirathu est pourtant bien réel. Il incarne la face sombre du bouddhisme traditionnellement représenté par de paisibles méditants. "Dès que je donnerai le signe du départ, soyez prêts derrière moi. Entre-temps, il faut que je planifie bien comme il faut, façon CIA, Mossad, etc., lance le vénérable Wirathu à une assemblée de crânes rasés qui le vénèrent en robe safran. Cette fois-ci, c’est moi le leader. Je ferai en sorte que les kalars n’aient plus rien à manger. Et je ferai aussi en sorte qu’ils n’aient plus d’endroit pour vivre", assène-t-il. Kalar, comme pour dire "nègre", est un terme péjoratif qui désigne "des personnes à la peau sombre".
Cette haine des musulmans remonte-elle à l’enfance ? Ashin Wirathu est issu d’une famille birmane pauvre. Il aurait été choqué par le viol et l’assassinat d’une jeune Birmane par des musulmans. Et il aurait désespéré son père en choisissant de devenir moine… À la biographie, Barbet Schroeder préfère le décryptage de l’implacable mécanique de la violence. Dans un souffle cinématographique qui ne laisse aucun détail historique au hasard, il cherche à comprendre comment le bouddhisme, qui prône l’amour et le respect de tous les êtres, a pu donner naissance à un déferlement de haine contre les musulmans dans tout le pays : 90 % de bouddhistes vivent en Birmanie, pays qui rassemble 135 ethnies et quatre religions. Les musulmans ne représentent que 4 % de la population.
La trilogie du mal
En sélection officielle (hors Compétition) à Cannes 2017, primé au Festival de Varsovie en 2018, Le Vénérable W. clôt la "trilogie du mal" après Général Idi Amin Dada : autoportrait (1974) et L’Avocat de la terreur (2007), consacré à Jacques Vergès. Le cinéaste, qui montre "l’extrême intelligence et la complexité de ceux qui en sont les héros, et leur jouissance du pouvoir", avoue avoir éprouvé, en filmant Wirathu, la même chose que pour Amin Dada.
Selon Barbet Schroeder, une majorité de Birmans considèrent, au mieux, que les Rohingyas, groupe musulman arrivé du Bengale il y a plusieurs siècles, constituent des éléments étrangers à la nation, et au pire, que les crimes perpétrés contre eux sont justifiés. C’est d’ailleurs pourquoi, quand les massacres à grande échelle ont commencé en 2017, la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi a jugé, toujours selon lui, que les dénoncer signerait son arrêt de mort politique.
Il montre comment la découverte en 1997 d’un manuscrit intitulé La Peur de la disparition de la race, alors interdit par les autorités militaires, est finalement réapparu pour servir leurs intérêts et mener des opérations massives d’épuration ethnique contre les Rohingyas.
Ce documentaire critique d’un bouddhisme politique, à la fois xénophobe, populiste et fanatique - dont la voix de Bulle Ogier rappelle l’essence de paix et d’amour, en contrepoint - date de 2016. Aujourd’hui, il repose la question du sort réservé aux réfugiés rohingyas. Plus d’un million d’entre eux ont fui vers le Bangladesh, qui a fini par les transférer vers une île dangereuse du golfe de Bengale, régulièrement inondée et menacée par les cyclones, en dépit de l’opposition d’organisations de défense des droits humains.Virginie Roussel